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Pont1

Pont2

 

Le vieux pont de chemin de fer est rouillé.
Il tient bon pourtant au dessus du cours d’eau.
Qui se souvient des trains qui le frôlaient ?
Qui se rappelle la fumée noire crachée par la locomotive ?
Personne ne ressuscite les cris des enfants au bord du ballast lorsque le train passait.
Le vieux pont a confié sa mémoire aux feuilles qui désormais jonchent l’ancienne voie.
Les rails ont disparu.
Les traverses se sont envolées.
Seuls quelques amas de pierres blanches nichent au pied des fougères et des orties sur le chemin de fer oublié.
Passent les promeneurs.
À pied ou à bicyclette.
Plus aucun écho ne leur parvient des grincements et des soubresauts d’autrefois.
Restent quelques flaques égarées au gré des bourrasques.
Traînent quelques araignées en suspend au-dessus des bras bistrés du vieux pont.

 

Suggitonenvue

 

Monter tout là-haut et éprouver la pente
Racler semelles
Bruyant troupeau de toutes espèces
Le longer à pas d’ogre
La largade dans le dos
Minot, connaissais pas ce vent qui blanchit et grise le ciel
Respirer souple, ample
Savourer chaque bouffée d’embruns
Se frayer un passage entre petites ravines sèches
Romarin, buis, pins et caillasses dans les narines.
Le belvédère approche
Suggiton tout en bas
Calanque outremer cachée au creux des rochers
Planque douce au pied du massif blanc
Sur le sentier, une mémé lance à une gamine à IPhone :
– regarde le paysage plutôt que ton écran !

monument

Pris de vertige devant le monument aux morts
Cent ans depuis que le tocsin inaugural est tombé du clocher
Le voilà qui résonne encore
Des siècles les siècles ou les siècles des siècles
Il ne sait plus
Il n’a jamais su combien ça fait un siècle
Pourtant ces années il lui semble les avoir palpées une à une
Comme s’il en avait respiré toute l’horreur, toute la laideur, toute la malédiction
Comme si les jeunes hommes fauchés si vite et si nombreux lui avaient parlé
Comme si leur sang glacé à jamais s’était mêlé au sien, né pourtant quarante ans après.

Il ne sait plus combien ça fait un siècle
Il n’a jamais su
Il sent seulement que le temps a orné la mémoire de parures grises
Il aperçoit les corps fauchés
Il entend les salves et les râles
Il sent ses narines envahies de puanteur
Il sait la douleur vive
Il se mêle au chagrin éternel des survivants
Il se souvient de sa grand-mère privée à jamais de son promis.

Par la fenêtre il aperçoit maintenant les arbres remarquables
Demain, ils sauront lui raconter l’effroi qui saisit les campagnes il y a un siècle
Ils sauront lui nommer la misère et les pleurs des femmes
Eux ont tout vu, tout entendu
Ils lui nommeront l’innommable
Lorsque le tocsin sonnera encore et encore

Science et charité

La mort toute proche. Imminente. Demain peut-être. Ou bien jamais. Tant qu’il reste des mains et des regards qui parlent sous nos yeux ébahis. Main offrante. Main indifférente. Main insouciante. Main qui cherche ce qui reste encore de vie. Main sur le cœur. Regard déjà parti. Regard à côté. Regard absent. Regard bienveillant. Regards parallèles. Se croiseront-ils avant demain ? Cienca y Caridad, Science et Charité, tableau de jeunesse. Découvert avec mon fils au Musée Picasso de Barcelone. Le maître avait 16 ans lorsqu’il le peignit. Se tourner vers Picasso et le faire exister dans notre monde. Un instant d’éternité.

 

faussemonnaie

Sous le pont de la Fausse-Monnaie
Ce vieil homme qui racle sa canne
Les yeux brouillés de larmes
Personne pour l’approcher
Guenilles et godillots troués
Dans la moiteur de juillet
Il sent mauvais
Il avance vers son refuge
Sous le pont de la Fausse-Monnaie
La mer l’ignore comme il l’ignore
Pourrait-elle le happer soudain
Le rouler au fond où s’égaient les poissons
Serait accueilli par les poulpes
Lui offriraient leur encre
Pourrait écrire sa nouvelle vie
Sans canne
Sans guenilles
Nu comme un sar
La peau irisée tel un rouget.

Lune

Marcher sur la lune

Chasser le vertige. Tirer la langue au vertige comme un enfant tire la langue au méchant. Monter tout là-haut. Ventoux. Se donner aux rafales juste avant le sommet, au col des tempêtes. Fermer les yeux et se vivre en pèlerinage. Les rouvrir et se sentir happé par la lune au-dessus des roches dorées. Rêver aux disparus qui un jour eux aussi l’aperçurent. Rêver à leur éclat, à leur grâce. Vertige. Redescendre vers le mauve de nous autres. Espérer leur retour.

 

pharotoitsmarseillecrépuscule

Crépuscule d’été #1

On lui avait montré cet endroit, ce quartier.
Elle avait choisi de s’y poser. De s’y reposer quelques heures.
Terrasse ouverte, tomettes tièdes, canisses fragiles, pas de vis à vis.
Elle avait choisi d’entrer là pour souffler et lancer son regard vers les toits.
L’accrocher au-delà des cheminées, des antennes et des courbes de la colline.
Vers le large où elle embarquerait le lendemain.

A présent, elle écoute le crépuscule s’installer sur la ville.
C’est l’instant où Marseille semble enfin s’apaiser, encore secouée à vif par ses bruits et ses cris désordonnés.
Encore prise dans ce tournoiement brut qui diffuse sa dose de chaos au coeur des rues.
Elle écoute et ses pupilles palpitent.

D’abord vers le plus proche. Vers ces maisons qu’elle pourrait toucher.
Vers ces immeubles tachetés de fenêtres aux lueurs orangées.
Elle sent le ciel aussi. Elle le sent foncer au ralenti ce ciel, au-dessus des jardins et des tuiles.
Au-dessus du crayonnage noir étalé par endroits sur la pente.
Il fonce par le bas le ciel. Par la lisière, par la frise fine offerte aux nuances de bleu et de gris.
Elle devine des jardins sous le ciel. Elle ne sait pas. Elle devine.
Elle imagine les enfants jouer encore un peu au pied des pins. Juste là. Sous le ciel.

Les bras étendus large, les mains ouvertes de chaque côté des épaules, elle plonge maintenant vers le doré et le rose.
Elle plonge, toute offerte à cette lamelle de mer bleue pâle qui se faufile en direction des îles.
Personne auprès d’elle pour lui nommer ces touches de rose.
Une tour ? Un clocher ? Un fort ? Elle ne sait pas. Elle imagine.

Ensuite elle s’en détourne et se sent tournoyer vers sa gauche près d’un large rectangle doré.
Aussi massif qu’un palais, il surplombe la mer.
Elle se souvient qu’autrefois vers là-bas il y avait un port. On le lui avait raconté.
Un port au pied d’un palais sous le ciel, elle croit bien l’avoir entendu enfant lorsque les grands lui racontaient Marseille.
De quelle couleur cette ville est-elle donc le miroir lorsque s’installe le premier crépuscule d’été ?
Elle ne sait pas dire. Elle est fatiguée.
Les paupières closes, elle s’allonge sur les tomettes tièdes. Elle chavire en douceur.
Il lui semble que le ciel se tait. Elle devine. Elle imagine.
Elle n’a entendu ni les volets de la maison d’à côté se refermer, ni le – bonne nuit ! lancé par la voisine juste avant que l’obscurité gomme la trace de cette éclatante lueur.

Je remercie vivement Candice Nguyen de m’avoir permis d’écrire ce texte à partir de l’une de ses photos. Elle figure sur son blog et sur son Facebook, accompagnée d’une légende : anatomie du premier crépuscule d’été.

 

 

louvreessaitexte

 

Calanque

Épuisé par son long voyage depuis Phocée, il amarra son bateau au milieu de la calanque et rejoignit la rive à la nage.

Ensuite, il grimpa jusqu’aux roches plates juchées tout là-haut et s’installa face à la mer.

Vert émeraude et tranquille, elle ouvrait larges ses bras jusqu’à chuter dans la brume offerte à l’horizon.

Devant lui surgissaient des flots de petites montagnes au teint mauve où résonnait le cri acide des mouettes.

Le matin se levait. Il n’avait pas sommeil.

Il attendait d’autres bateaux. Il espérait d’autres humains sur ce sol encore inconnu de lui.

Il guettait. Nu. Offert au miracle de la naissance d’un nouveau jour au-dessus de ce pays gorgé de promesses.

J’ai écrit ce texte à partir d’une image. Un extrait de tableau proposé sur Twitter #ImagineMW par le Louvre @MuséeeLouvre

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