Jirō, Petit Prince japonais 日本

Éblouissant. Le vent se lève, l’ultime opus de Hayao Miyazaki, est une merveille absolue. Ce film d’animation nous transporte dans le Japon des années 20, des deux décennies qui précédèrent l’horreur de la Seconde guerre mondiale. Le héros se prénomme Jirō. Une sorte de Petit Prince rêveur, profondément généreux et dont la vie est « un avion-nuage » tant l’anime depuis tout petit le désir de voler, la passion des avions. Décors, paysages, expression des visages, bruitages, tout est absolument enchanteur, bouleversant de beauté, de poésie et d’humanité. Sans parler de la bande originale, signée Joe Hisaishi dont voici les trois premières minutes, enregistrées hier au cinéma Variétés à Marseille.

Le titre de son film, Hayao Miyazaki l’a emprunté à une citation de Paul Valéry, extraite du « Cimetière marin » :  « Le vent se lève, il faut tenter de vivre ». Jirō la prononce en français avec l’accent japonais. C’est très touchant.

Dans son blog Métronomiques, Dominique Hasselmann a consacré récemment un superbe billet au film de Miyazaki. C’est par ici.

 

Le saut de l’ange #3

Le saut de l'angePhoto numéro six.

Des cris m’attirent à contre-sens. Complainte sourde enveloppée dans des nuages de poudre. Ce sont des voix d’enfants mêlées à des aboiements et des claquements secs, à deux, trois cents mètres de l’oratoire effondré. A l’aveuglette, je mitraille vers ces sons de malheur.

 Photo numéro cinq.

Dans mon viseur, je cadre des gamins en file indienne. Je les reconnais à leurs blouses vertes. Tous fréquentent l’école des jardins. Les enfants avancent à genoux, cravaches à la main. Ils bastonnent les plates-bandes de pensées. Je ne comprends pas pourquoi ils sont en train de saccager ces fleurs qu’ils avaient eux-mêmes plantées.

(à suivre)

La caverne du MUcem

J’ai donc fini par découvrir le MUcem, ce Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée qui a paraît-il laissé baba le New York Times. J’avoue l’avoir franchement boycotté en 2013, peiné et dégoûté que l’agenda de Marseille Provence 2013 capitale européenne de la culture n’ait réservé aucune place à Arthur Rimbaud, à Jean-Claude Izzo et à IAM, les papas du hip hop. Et puis je me suis dit que la bouderie avait assez duré et je suis allé le visiter, ce musée ouvert sur la mer et bâti à quelques battements d’ailes du quartier du Panier où j’ai vécu les deux première années de ma vie. Je le confesse, je ne l’ai pas regretté tant le MUcem regorge de trésors et témoigne d’un parti-pris affirmé, d’un regard sur la Méditerranée qui m’est cher, ancré sur l’ouverture et le partage. Première escale, la salle du corps de garde. Une balade visuelle et sonore intitulée La colline retrouvée, 26 siècles d’histoire de Marseille. On se croirait dans une caverne.

Ce spectacle a été écrit et réalisé par Henri Louis Poirier. Plus d’infos sur le MUcem, c’est par ici.

Le saut de l’ange #2

Le saut de l'angePhoto numéro huit.

Déclencher avant qu’il ne soit trop tard. Mais où sont passées les baraques en bois peint que nous surnommions les trois cabanons ? Volatilisées en pleine poussière. J’ai beau m’écraser la face contre le viseur – pommette et arcade au beurre noir – je ne devine que quelques touches de couleur à travers les ramures. Pas d’avantage. Vermillon pour l’abri à outils, jaune d’or pour le hangar à graines et bleu ciel pour la maison des fleurs. Vestiges opaques et presque virtuels d’un peuple de pépiniéristes artistes.

Une fois l’an, les jardiniers d’Angelo repeignent les murs de leurs demeures. Pour célébrer le retour de l’été. Les pigments sont broyés et mélangés dans de grandes cuves en bois d’olivier, au pied des échafaudages. Les enfants grimpent jusqu’au sommet des façades et y composent leurs frises en regardant la mer. Juché sur ces gigantesques échasses, je me suis souvent pris pour Giotto. Tout jeune, c’est la maison des fleurs que j’ai choisi de repeindre. Juste pour le plaisir de passer ma journée dans le bleu ciel. C’était ma couleur préférée. J’adorais les mots mystérieux qu’égrenait ma grand-mère en feuilletant le registre des ventes : aristoloche, joubarbe, fraxinelle, pied d’alouette ou zinnia. Toutes ces fleurs trouvaient preneurs jusqu’aux antipodes. Aujourd’hui, le bleu ciel m’indiffère et plus personne ne me guide parmi ces merveilles.

Photo numéro sept.

Un obstacle, soudain, à mes talons. Je trébuche et me retourne de justesse pour éviter la chute. Je viens de me cogner à un amas de pierres grises.  Construit au centre du domaine, l’oratoire à la Vierge n’a pas résisté aux vibrations infernales des caterpillars. Il s’est écroulé face contre terre et la croix qui ornait le sommet a disparu sous les gravats. Je n’aurai pas eu le temps d’y prier une dernière fois. Vite, fouiller dans les décombres. Je m’écorche le bout des doigts à creuser comme un chien. De mes poings qui enserrent les pierres ne s’échappent que des fragments d’argile cuite brun-rose, sans doute le corps de Jésus. Aucune trace des yeux étonnés qui happaient les miens chaque fois que la peur me conduisait auprès de la niche sacrée. Les paysans d’Angelo l’érigèrent face à la mer, pour remercier Marie d’avoir épargné leurs jardins lors de la grande tempête de mil huit cent trente.  J’aurais tant aimé l’embrasser encore, ce visage poupon et lui parler de ces sauvages qui ravagent notre terre. Lui dire qu’ils me font horreur. Lui demander de me donner le courage de tenir jusqu’au bout.

(à suivre)

Un mécano tendre

Dans moins de deux semaines, Brest. Longueur d’Ondes. Le Festival de la radio et de l’écoute. Je me languis d’y être et de déployer bien larges mes oreilles. Parmi les pépites sonores sélectionnées qui seront diffusées lors des séances d’écoutes du 13 au 16 février, ce moment de grâce, signé Jérôme Bailly.

https://soundcloud.com/mecanique-des-sons/la-complainte-du-rouet

Mécanique des sons est un lieu dédié aux sons de l’autre bout de la France quand on regarde la carte depuis Marseille. Jérôme Bailly en est le mécano en chef.

Le saut de l’ange #1

Le saut de l'angeUn cliquetis sauvage secoue mes semelles. Pas moyen de faire la sieste. Les pelleteuses viennent de pulvériser la dernière murette du domaine ouvert en contrebas sur la mer. Le temps d’activer mon Leica, une odeur de fuel poisseux troue l’air azur de décembre. Je n’ai pas le courage de m’allonger en travers des chenilles d’acier, alors, je marche à reculons, adossé aux flots. Un oeil collé au viseur, l’autre fermé sur la mémoire. Dans quelques minutes, plus personne ne connaîtra l’histoire des jardins d’Angelo.

Photo numéro neuf.

Zoom avant vers l’orangeraie des origines. Gros plan sur des milliers de fruits en bouillie, des centaines de troncs affalés, une récolte déchiquetée. C’est par là que les machines ont commencé leur sale boulot. Lorsque des pirates corses fondèrent la cité, ils débarquèrent de leurs bateaux des sacs joufflus gonflés de pépins. Les semailles furent providentielles : des arbres surgirent en abondance entre pinède et roche blanche. La première cueillette offrit navels, limettes, clémentines et sanguines à volonté. L’année qui suivit, les pirates désarmèrent leurs barques pointues et choisirent de devenir paysans. Le troc procura les arpents nécessaires à l’extension des cultures. Des familles entières arrivèrent de l’autre côté de l’horizon pour tenter leur chance à Angelo, du nom du premier marin à fouler le sol du continent. Encore quelques clichés, et ce nom s’éteindra pour toujours.

(à suivre)