Jacques, c’est mon beau-frère. Jacques a une âme de poète. Jacques écoute et partage. Jacques siffle du matin au soir. Mozart, Wagner, Pavarotti, La Marseillaise. Jacques parle aussi le langage des oiseaux. Dans la forêt de Biscarrosse, il a bien failli s’envoler les rejoindre là-haut. Jacques, j’en suis sûr, se transformera en oiseau lorsqu’il ne sera plus de ce monde-ci. Ce monde où l’on a tant de mal à s’ouvrir à d’autres langages. À se laisser séduire par la différence. À écouter ce qu’elle nous dit de ce que nous sommes. Pluriels dans ce monde de vivants.
Mois: mai 2014
Biscarrosse #2 / Patrice l’échassier
Croisée au marché de Biscarrosse hier-matin, cette enfant juchée sur des échasses, la main posée sur l’épaule de son papa. Elle se prénomme Nahia. Fille de Patrice Hausseguy, échassier, artisan d’art qui vit de sa passion pour le bois. Plus d’info sur les échasses des Landes et du monde par ici.
Livres de ma vie / Poèmes de l’infortune
Classe de quatrième. Je me souviens de la Complainte de Rutebeuf récitée par mon professeur de Français. Elle tenait en main un livre à la couverture décorée d’enluminures. Poèmes de l’infortune. Du rouge et de l’or. Merveilleux. Le Moyen-Âge nous disait-elle. Je répétais dans ma tête « Le Moyen-Âge ». « Ils ont été trop clairsemés / Je crois le vent les a ôtés / L’amour est morte »… Complainte mélancolique. La poésie de Rutebeuf rapprochait ce temps reculé. Me le rendait tellement actuel. Du coup, il me semblait familier. Nous étions en 1968. J’entrais dans l’adolescence. Mis à part l’Allemand, la poésie c’était ce que je préférais étudier. Pauvre Rutebeuf est sans doute le poème du Moyen-Âge dont je garde le souvenir le plus vivace. À l’époque, je savais le réciter par coeur.
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Ce sont amis que vent me porte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Avec le temps qu’arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n’aille à terre
Avec pauvreté qui m’atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d’hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m’était à venir
M’est advenu
Pauvre sens et pauvre mémoire
M’a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m’évente
L’amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
L’interprétation de Joan Baez m’a toujours bouleversé. Aujourd’hui encore, elle me déchire le coeur.
http://youtu.be/Tte6cqTzz9U
Biscarrosse #1 / Parmi les pins
Biscarrosse. Sorti du sommeil de bonne heure par les oiseaux. Suis allé marcher parmi les pins et les fougères et j’ai écouté la forêt se réveiller. Là. Juste là.
Sécher le linge / Écouter Amália / Approcher le Berceau les Dieux
Pluie. Pluie. Pluie. Le linge ne sèche pas. Alors, filer à la laverie et mettre quelques pièces dans la machine qui miaule avec tout ce linge dedans. Ensuite, patienter jusqu’ à la prochaine Nuit en écoutant Amália Rodrigues, la Reine du Fado.
Enfin, contempler une nouvelle fois le somptueux dessin au pastel que Claudine Sales m’a envoyé hier pour garnir nos Vases communicants de mai sur CarnetDeMarseille.
« Berceau des Dieux », par @ Claudine Sales, artiste à retrouver sans modération sur colorsandpastels.
Livres de ma vie / Marsiho #7 / (suite et fin)
Rester. Partir. Passer sa vie entre mer et collines ou s’escaper, mettre les voiles, changer d’horizon, désirer un ailleurs inconnu. Dilemme profond pour nombre de Marseillais. Beaucoup le tranchent en demeurant dans la ville natale. D’autres boulèguent. J’en suis. Mais toujours revenir… car ici, qu’est-ce que l’on voyage !
« …Celui qui naît et grandit à Marseille n’a pas besoin de partir : il est déjà parti. Comme ils rencontrent tous les visages et tous les peuples de la terre, entre les allées de Meilhan et les ports, la plupart de enfants ne rêvent pas de voir le monde. Un petit nombre d’autres brûle, au contraire, de tout quitter et de mettre le cap sur le large. Plus fort que le désir de voyage, le désir de la mer ; et plus que le désir de la mer, la nostalgie d’ailleurs. Où ? Ailleurs. À quelle fin ? Ailleurs. Pour quoi ? Ailleurs est le nom du pays inconnu, le plus beau des pays. Ailleurs, le pays où l’on n’est pas et où l’on pourrait être ; celui où nul n’a été, jusqu’à ce qu’on y soit.
À Marseille, comme dans tous le grands ports, l’indigène aime la mer à la façon des riverains amis de leur fleuve ou de leur rivière. Pour eux, la mer est la belle eau familière, l’air plus vif, l’aventure d’une demi-journée, le plus large rire de la nature, les bains dans le flot doré, le canot et la pêche.
Mais les amants d’Ailleurs ont pour la mer une toute autre passion. Jour et nuit, les mâts tissent le filet de la séduction, et le cœur du jeune homme fait nœud à chaque maille. Il ne dort plus. Que de navettes sur le ciel du Vieux Port ! Il est pris aux rets de sa convoitise… »
Copyright @ Editions Jeanne Laffitte
Feuilles, pierre et arbres, menu langage
Dans le grand vent sur l’allée verte, des feuilles de chêne caressent un vieux pont de pierre. Autrefois y passaient des locomotives. Un peu plus loin, deux arbres se mêlent, se frottent et gémissent, indifférents au chant de quelques oiseaux.
L’allée verte, ancienne voie ferrée, entre Salies-de-Béarn et Escos.
En contrebas, le travail des hommes.
Berceau des Dieux / Vases communicants / Échange avec Claudine Sales / #vasesco mai
C’est avec émotion que je participe aujourd’hui pour la première fois aux « Vases communicants », beau projet d’échange et de partage initié par Le tiers livre de François Bon et Scriptopolis. Le premier vendredi du mois, chacune et chacun se lance dans un voyage d’écriture sur le blog d’un(e) autre. « Circulation horizontale sur la Toile pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre ».
Ces tout premiers vases partagés, nous avons choisi avec Claudine Sales de les remplir ensemble de mer et d’océan. Qu’elle en soit remerciée du fond du coeur.
Claudine Sales est une artiste qui m’émerveille au quotidien. Je côtoie ses dessins sur son blog colorsandpastels . Coloriste hors pair, elle m’emmène voyager vers les plages du Nord, sur les sables du Japon, au bord des baies imaginaires où s’envolent ses rêves. Ses vagues sont douces, ses écumes sensuelles, ses poissons malicieux, ses ciels tourmentés et ses couchers de soleil si puissants que l’on s’y perdrait.
Voici le dessin qu’elle a déposé sur mon carnetdemarseille transformé en vase de mai, accompagné de ce texte :
« Méditerranée. Berceau bleu dans lequel les dieux violents jetèrent au hasard d’âpres rochers vengeurs. J’ai vu du ciel de Grèce les îles et les côtes creusées de cavernes mystérieuses où naquirent ces dieux. Je ne connais pas Marseille. J’imagine en rêvant que des chants rocailleux éclaboussent aux calanques les mêmes souvenirs divins.»
Dessin : « Berceau des dieux », d’après l’une de mes photographies de la calanque marseillaise de Sugiton.
Claudine Sales dessine ainsi depuis près de dix ans sur du papier Canson. Elle utilise des pastels Conté, sauf pour le blanc. Là, c’est un Sennelier ou un Schmincke qu’elle choisit.
Grand merci à elle d’accueillir mon texte parmi ses créations dans son vase disposé sur colorsandpastels
Remerciements aussi à Brigitte Célérier pour sa veille attentive et généreuse de nos Vases communicants.
Elle en établit chaque mois la liste des participant(e)s sur la page Rendez-vous des vases.
Grâce à son travail minutieux, nous pourrons voyager vers d’autres vases, d’autres textes et d’autres images.
Livres de ma vie / Marsiho #6
Saint-Victor. Antique église aux cloches tonitruantes. Nichée au-dessus du Vieux Port. Ferveur des prières en son sein. C’est ici que mon père m’emmena écouter mes premiers concerts de musique classique. Bach, Mozart. Souvenir d’un recueillement profond souligné par la magique austérité de ce lieu auquel Suarès déroule ce splendide tapis coloré.
« … Il fait grand jour rouge au-dehors ; mais ici, passé la porte, c’est la fraicheur et l’ombre d’une demi-nuit. Saint-Victor est la seule église de Marseille. Il y a bien la première cathédrale, la vieille Major : elle est morte ; elle rentre sous terre : collé à son flanc, la nouvelle l’a tuée.
Énorme et vide, riche et sans beauté, cette parvenue n’est pas vivante elle-même. Saint-Victor, au contraire, lance le profond regard de l’âme fidèle sur sa petite place étroite : esplanade déserte, au-dessus du Vieux Port, verte et noire, l’herbe entre les pavés et parfois un vol de mouettes, la solitude ne démantèle pas cette église de sa rude et chaude vie.
Quel fort rendez-vous elle donne au mistral sur cette terre : il la prend debout au nez, ou par le travers de la joue ; il va l’emporter. Toute pesante et toute assise qu’elle est, s’il la saisit par dessous, la vieille église des marins s’élèvera d’un seul coup dans le ciel, magnifique quatre ponts de pierre, en partance vers les échelles du Paradis. Intacte, Saint-Victor serait la plus ancienne basilique de la France.
Telle quelle, dans son armure roide, elle est de la flotte militante : elle parle à la ville païenne la langue du plus vieil âge chrétien. Elle est carrée en ses tours, en ses créneaux, en tout son plan… »
La suite du texte – écrit je le rappelle en 1929 – revêt une « sonorité » qui choque pour le moins :
« C’est une forteresse de prières contre les mécréants, contre les Arabes et les « Teurs », s’il y en a : sa carrure, en tout, s’oppose au croissant. Elle est guerrière et bonne femme.»
85 ans après, ces phrases font mal aux yeux, plus que jamais. Une douleur à peine adoucie par la suite du texte :
« Solide citadelle contre les Infidèles, elle est aussi le refuge contre contre les infortunes de la mer, les tempêtes et les orages. Toujours dans l’ombre, une forme prosternée prie, un fichu noir sur une jupe de laine noire : femme de pêcheur, femme de malheur ; mère de marin, mère de chagrin. »
Copyright @ Editions Jeanne Laffitte
La voix de Mumia Abu-Jamal / La voix de Keith Richards / Playing for change
Quelle force, quelle sérénité et quelle dignité chez Mumia Abu-Jamal ! Voilà un homme qui a passé plus de la moitié de sa vie en prison et de nombreuses années dans les couloirs de la mort. Accusé du meurtre d’un policier blanc en 1981, il a été condamné à mort puis à la réclusion à perpétuité. Ce militant des Black Panthers continue de ne pas être indifférent à la marche du monde tout en clamant son innocence depuis la prison de Mahanoy, à 3 heures de route de Philadelphie. L’interview est signée Nadine Epstain, journaliste à France Culture. Bravo à elle. Plus d’info sur les conditions dans lesquelles elle a réalisé ce scoop, c’est par ici. Le site du Collectif français pour la libération de Mumia Abu-Jamal. Le site de la Coalition mondiale contre la peine de mort, c’est par là.
Pour accompagner Mumia, la voix de Keith Richards Playing For Change. Découvert cette vidéo avant-hier. 8 minutes 40 de plaisir à partager. Urgent que ça change pour la panthère noire injustement enfermée dans sa cage. Praying for change… Don’t give up the fight. Pour prolonger l’écoute, lire ces Conversations de François Bon avec Keith Richards. Ces mots sont pour Mumia : « L’espoir est ce que tu sculptes de ton poing quand tu chantes. »