Hiver #8 Pavane, phare et radios de nuit

Depuis mardi dernier, je suis retourné plusieurs fois sur mon île numérique. Pas de raison de se priver quand ça fait du bien. C’est un lieu accueillant. Sans doute ressemble-t-il aux espaces bienveillants et paisibles choisis par les participant.e.s à l’aventure lancée par Anne Savelli et Joachim Séné. Peu de web, donc. Juste ce qu’il faut pour se sentir libre. Pas de news. Une pincée de Twitter pour partager deux trois photos et cliquer sur quelques liens.* Téléphone à distance. Dès le saut du lit. Livre à portée de main. Aussi souvent que possible : Le tambour de Günter Grass. Ordinateur en sommeil. Tablette en fonction horloge, sauf pour la musique. Désir d’écouter et réécouter la Pavane travaillée avec l’ensemble de violoncelles auquel je prends part un samedi sur deux.

Pavane – Jordi Savall et ses musiciens à La Capella Reial De Catalunya.

Belle qui tient ma vie

Captive dans tes yeux

Qui m’a l’âme ravie

D’un sourire gracieux…

Tes beautés et ta grâce

Et tes divins propos

Ont échauffé la glace

Qui me gelait les os…

Ai eu besoin d’Internet pour découvrir l’auteur de ce poème célébrant l’amour courtois. Il s’appelait Thoinot Arbeau. LOrchésographie, son traité de danse, date de 1589. De son vrai nom Jean Tabourot, il était chanoine et savait joliment parler d’amour.

Je suis retourné saluer le phare de Biarritz. Bientôt deux siècles qu’il guide les navigateurs du haut de sa tour immaculée. Le cousin basque de mon Planier reste fermé à toute visite. Impossible d’escalader son escalier comme il y a quatre ans. Me contenter de marcher vers lui. Tenter d’abord de ne rien manquer du décor. À marée basse, depuis la Grande Plage, guetter le presque imperceptible reflux et laisser l’océan, seconde après seconde, rendre de l’espace au sable, jonché de colonies de cailloux, de tout petits galets et de bois flotté. Savoir que le phare ne perd pas une once du spectacle. Pour faire durer le plaisir, m’éloigner et rejoindre l’autre côté de la ville. Marcher jusqu’au rocher de la Vierge. M’attarder face aux croix sombres ancrées sur les rochers en contrebas. Évocation de naufrages, de fortunes de mer. Repartir vers le phare, tranquille et patient. Remonter vers le sommet de la pointe Saint-Martin, me cacher sous les roseaux paisibles, derrière les haies gorgées d’embruns et les maigres troncs des tamaris et jouer à cache-cache avec la haute tour de lumière. Arrivé à ses pieds, noter les deux dates gravées sur son ventre : 1831 en bas et 1832 tout en haut. Imaginer la peine et la sueur des hommes qui l’édifièrent semaine après semaine. Partager la joie et la fierté qui les accompagna lorsque les toutes premières lueurs furent offertes aux marins, un premier février de l’an 1834. Les gens de la mer durent patienter soixante-dix années avant que Fresnel et ses lentilles magiques prennent le relais. Autant de temps fut nécessaire pour que les hommes désertent le phare, chassés dehors par l’automatisation. Aujourd’hui, le spectacle de ses bras de lumière lancés vers le large est réservé aux seuls riverains. La faute à l’affreux couvre-feu. Peut-être revenir un de ces quatre matins, le plus tôt possible. Ne pas trop attendre car l’obscurité perd du temps de vie chaque jour davantage. Inexorablement. Bientôt, il sera trop tard pour retenir la nuit.

*Parmi mes clics de cette semaine, l’excellent billet de Radio Fañch dédié à un podcast merveilleux, Les Nuits du bout des ondes. Voyager parmi des trésors de la radio de nuit en suivant un guide prénommé Jean, chauffeur de taxi à Paris. Six épisodes à déguster au calme. Prendre le temps de laisser travailler la mémoire. Savourer la pleine remontée du plaisir en retrouvant des voix que l’on croyait à jamais perdues.

Hiver #7 Alors, cette île numérique ?

J’y serais bien resté une semaine entière sur cette île, mais quelques heures avant de m’y retrancher, j’avais promis à la traductrice en provençal de mes portraits de villageois de répondre au plus tard ce lundi à son mail (elle sollicitait des précisions sur quelques appellations paysannes des étoiles.) Du coup, je me suis reconnecté dimanche à internet, m’offrant ainsi un bonus d’une journée sur ce qui était prévu.

THE END

Mardi dernier vers vingt trois heures, juste après avoir capturé depuis Twitter – et classé dans l’application Notes de mon IPhone – cette photo d’Edward Ruscha – elle m’a plu parce j’ai imaginé un refuge tout là-haut, dans une contrée où les glaciers seraient encore épargnés par la folie destructrice des humains et où je pourrais m’installer – j’ai débranché d’internet ordinateur, tablette et smartphone. Me suis refusé de couper la fonction téléphone de ce dernier pour pouvoir rester joignable par mes proches. Comme chaque soir, j’ai lu. Longuement. Plus paisiblement que d’ordinaire car débarrassé de mon habituelle et récurrente tendance à m’arrêter sur tel ou tel passage du livre en cours, le transformer en citation à poster sur Twitter. Fut-ce difficile de me priver de ce partage ? Pas vraiment. Je me suis simplement interrogé sur ce que signifiait au fond ce besoin de renvoyer vers les autres – quels autres ? – quelques éclats de phrases, quelques pensées exprimées par tel ou tel auteur. Désir de se sentir lié aux autres – quels autres – ? Besoin d’être reconnu comme membre de la communauté des lecteurs ? Un peu des deux je crois. En tous cas, j’ai apprécié de me délester de cette sorte de tic, soulagé de me retrouver tout seul face à mon livre et de me dédier entièrement à sa lecture.

livrebanquise

Pendant ces quatre jours sans internet, j’ai dévoré quelques livres sur mon île. Terminé « Marseille Festin », de Delphine Bretesché, conseillé par Anne Savelli. Lu quasiment d’une traite « De pierre et d’os » de Bérengère Cournut, l’histoire d’une jeune fille inuit soudainement livrée à elle-même dans l’immensité de la banquise. Repris la lecture de « Schubert, le promeneur solitaire », la biographie du maître du Lied. Avalé « Autoportrait » d’Édouard Levé reçu enfin par mon libraire – suis allé le saluer jeudi après le marché -. Découvert les étonnantes et parfois déroutantes facettes de la personnalité du peintre et photographe. J’aurais voulu en savoir un peu plus sur ce grand admirateur de Georges Perec et donc effectuer quelque recherche sur le web. Internet m’a manqué à ce moment-là. Idem lorsque j’ai souhaité prolonger la lecture de certains articles du Monde Diplomatique de février reçu mardi au courrier. Je me suis dit que ça pourrait attendre. Se couper du web exige d’être clair sur ses priorités et de se discipliner. J’apprécie l’infinie ouverture qu’il offre mais souvent, je me sens envahi par l’immédiateté et la souplesse qu’il permet. Pas d’île numérique sans limites à se poser, sans renoncements à assumer.

ilenumerique

Sur mon île, dès le lever, j’ai apprécié de mettre à distance mes outils numériques. Le téléphone surtout. Je ne l’ai pas allumé au saut du lit, comme je le fais depuis tant et tant de temps. Ai écouté le rossignol chanter depuis le toit d’en face sans me précipiter – comme souvent – pour l’enregistrer avec le dictaphone intégré au smartphone. J’ai petit déjeuné sans lui. J’ai sans doute mangé mes tartines avec davantage de concentration. De plaisir ? N’ai pas ressenti le besoin de cliquer sur l’application météo pour me renseigner sur le temps du jour. Être coupé du flux de l’actualité ne m’a pas dérangé. J’ai goûté la quiétude liée au renoncement à l’appel de l’appareil, à sa voracité. Me suis trouvé plus disponible pour échanger avec ma femme et mon fils. L’absence de connexion ne m’a perturbé à aucun moment de la journée, sauf peut-être aux toilettes.

pensées

Lors de ma promenade quotidienne, peu m’a importé de mesurer combien de kilomètres j’avais parcouru et combien de calories j’avais perdu. Le téléphone est resté à la maison, mercredi excepté pour photographier ces pensées transies de pluie en face de la maison. Sinon, pas du tout eu envie de lier – comme si souvent – mon regard sur la ville et la nature à la possibilité de quelques clichés à partager plus tard sur les réseaux sociaux. J’ai juste désiré marcher et regarder, écouter, savourer. Rien que pour moi. Et la musique ? Comment l’écouter sans internet, puisque point d’Apple Music. Point de panique… j’ai fouiné dans la pile de mes vieux CD remisés au fond de l’une des étagères de la bibliothèque et le tour était joué ! À l’ancienne. Ce furent de bien agréables retrouvailles avec Thelonius Monk, IAM, Rostropovitch, Rubinstein, Horowitz, Tiken Jah Fakoly, Moussu T et Schubert.

schubert

À présent reconnecté, je sais que sur cette île ainsi découverte, je peux retourner quand je veux. Je n’attendrai pas cent sept ans. Dès que le désir naîtra en moi de faire un pas de côté, de reprendre le contrôle, de m’extraire du tourbillon et du tumulte webien, je m’y retirerai. Déjà, les effets – les bienfaits ? – de cette courte aventure sont palpables : depuis dimanche, je n’ai ni tweeté, ni retweeté, ni posté de photo sur les réseaux, je ne suis pas retourné sur Facebook. J’ai fait deux recherches sur Google (Edward Ruscha, Édouard Levé), répondu au mail de la traductrice de mes textes et échangé quelques messages avec Anne Savelli à propos de la suite de son projet – aux côtés de Joachim Séné – Nos Îles numériques auquel je suis heureux d’avoir participé. Parce que pendant quatre jours, je me suis senti plus libre.

Impromptus – Franz Peter Schubert – Alfred Brendel au piano

Hiver #6 Île aux moines et île numérique

Choisir une île. S’échapper de la côte et du territoire connu. S’extraire de la routine des heures et partir vers le large. Embarquer. Laisser affleurer l’ivresse douce offerte par l’air marin et le léger roulis. Me souvenir de mon grand-père corse qui navigua toute sa vie entre Marseille et son île natale, calé dans la salle des machines. Sur le pont, écouter l’avancée du bateau. Longer les balises colorées de rouge et de vert. Deviner les montagnes blanches de neige, là-bas au loin. À même pas une demie-heure du port de Cannes, débarquer sur l’île Saint-Honorat, la plus petite des deux îles de Lérins. Mille cinq cents mètres de long sur quatre cents mètres de large, pas plus. Ce micro-territoire accueille des moines depuis l’an 410. Bénédictins d’abord. Cisterciens depuis 1867. La communauté d’aujourd’hui est réduite à une vingtaine de moines, âgés de trente à quatre-vingt dix ans. Retranchés dans leur cloître, leurs salles communes et leurs cellules, ils ont choisi de « se laisser façonner par Dieu ». À distance de notre monde, celui des non-reclus. Isolés derrière les murs de leur abbaye, ils sont invisibles, sauf lors de la messe quotidienne.

 

Arrivé trop tard sur l’île. Tu aurais aimé entendre leurs voix, leurs chants, leurs prières. Tu ne les approcheras pas. Il te faudra revenir après l’hiver pour les apercevoir travailler leurs vignobles. Alors, tu laisses aller tes pas sur le sentier qui fait le tour de l’île et tu écoutes la mer.

La mer, sans doute l’entendent-ils depuis leur monde. Sans doute apprécient-ils son chant. Sans doute leur permet-elle de se sentir encore plus proches de ce Dieu mystérieux auquel tu crois par intermittence, toi. Ce Dieu d’amour et créateur – paraît-il – que tu grondes de plus en plus souvent parce qu’il ne fait rien pour empêcher la saloperie du monde.

Nos îles numériques. Voilà quelques semaines que je rends visite à ce site imaginé par deux écrivains découverts et rencontrés sur le net, Anne Savelli et Joachim Séné. D’entrée, ils ont affiché la couleur : notre projet d’écriture utilise le web pour en cultiver la richesse et en contrer les effets néfastes. « Richesse et effets néfastes » résonnent en moi depuis si longtemps que j’ai choisi de participer à l’enquête qu’ils proposent, dédiée à nos rapports avec le numérique, à nos histoires de connexion, aux perturbations et aux bonheurs que le net engendre. Dans la dernière étape de leur enquête, Anne et Joachim proposent d’inventer ses lieux de refuge, de repos. Ils suggèrent aussi de se déconnecter d’internet – trois jours, une semaine ou un mois – et d’imaginer un lieu où vivre cette expérience – son île numérique – où se connecter à ses premières émotions, à ses premières sensations à l’écart du web. À l’écart du tumulte des clics, des scroll, des notifications et des réseaux sociaux. Allez, banco ! Je me laisse tenter. Dès demain, je me déconnecte du net. Pendant trois jours. Sans appréhension. Excité par le choix de ce petit voyage vers une île inconnue. Désireux de me laisser façonner par sa découverte, tel un moine de l’ordre des déconnectés. La semaine prochaine – à moins que je décide de prolonger l’aventure – je tenterai de raconter ici comment je l’aurai vécue. D’ici là, musique, avec un morceau dont j’ai commencé à étudier l’arrangement pour violoncelles, dans le petit orchestre auquel ma prof m’a invité de participer.

The show must go on – Queen

Hiver #5 Gabian, yachts et kamikazes

Sur les hauteurs de Cannes j’ai croisé un gabian paisible juché sur une murette et qui contemplait la ville. Il n’a pas bronché lorsque je me suis approché pour lui demander où il nichait, s’il avait des petits, s’il appréciait la vue depuis le Suquet. Il a juste esquissé quelques pas de côté quand il a vu que je cherchais à percer le mystère de son œil jaune assorti à son bec et ses pattes palmées. Puis il est allé se poser en contrebas sur un petit mur en briquettes bistres comme des tomettes. J’avais encore quelques questions à lui poser, alors je suis descendu vers lui sans me presser, en savourant la lumière vive de janvier au bord de la Méditerranée. Lorsque j’ai voulu prendre place à ses côtés, il s’est envolé. Je l’ai photographié. J’aurais bien aimé qu’il m’offre son rire acidulé, mais même pas. J’ai seulement entendu remonter de la ville des cris d’écoliers à la récré et une sirène de bateau de retour des Îles de Lérins. Un de ces quatre, il faudra que j’aille goûter au silence qui entoure les moines de l’Île Saint-Honorat. Les gabians y vivent nombreux paraît-il.

yachtcannes

Un autre matin s’est levé sur les yachts alignés le long de la jetée Albert Édouard, derrière le Palais du Festival. Désertés pour la plupart. Vides de présence humaine, vigiles et agents d’entretien exceptés. Pavillons multicolores, odeur de fric, éclats de luxe, relents de paradis fiscaux. Silencieuse nausée rythmée par le frottement à peine exaspéré des cordes et des bouées sur les coques rutilantes en bord de quai. Culbute de mots et de rime pauvre dans ma tête. Voyage, sabotage, partage, ravage, dommage, abordage.

Mon écoute-podcast de la semaine. Des mots d’adieu à la radio. D’ultimes poèmes avant le départ vers la mort. L’émission L’Expérience sur France Culture les donne à découvrir : « Tombez, fleurs de cerisiers » : 1945, derniers mots de kamikazes japonais. Bouleversant voyage sonore autour des nombreuses lettres adressées à leurs familles, leurs enfants, leurs amis par de tout jeunes soldats, au dernier jour de leur courte vie, la veille de leur ultime mission à bord de leurs avions-suicide. Ces poèmes pour quitter le monde prolongent une tradition aristocratique et lettrée, pratiquée jadis par les moines et les samouraïs.

Envie de rester encore un peu au Japon, et de partager ces trois merveilles dénichées sur Twitter, signées Keizaburo Tejima (Les cygnes), Shiho Sakakibara (Le prunier et la mésange) et Kiyoshi Niiyama (Le temple sous la neige).

Hiver #4 Le Fuji et une apparition

Le retour des engelures, de la goutte au nez, de l’écharpe épaisse et du bonnet. Le givre sur les feuilles,  quelques flocons savourés comme des friandises. Et voilà le désir de Fuji qui renaît.

livreFuji

Ce rêve de monter jusqu’à son sommet se réveille aussi en été lorsque je pars marcher face aux Pyrénées. Mais voilà l’hiver venu et sans trop savoir pourquoi, le désir d’aller un jour tout là-haut se fait encore plus vivace. Chez mon libraire préféré, j’ai aggravé mon cas en dénichant le livre de Dazai Osamu, Cent vues du mont Fuji, dont l’un des récits est dédié à la mythique montagne japonaise. « Ce soir-là, le Fuji était magnifique. Vers dix heures, mes deux compagnons me laissèrent pour rentrer chez eux. Ne dormant pas, je sortis. J’avais gardé ma veste d’intérieur. La lune jetait un vif éclat sur le paysage nocturne. Merveilleux spectacle : sous les rayons de la lune, le Fuji, translucide, avec ses reflets bleutés. Était-ce un renard qui l’avait ensorcelé ? La montagne, bleue comme l’eau ruisselante. Éclat phosphorescent. Feux follets. Étincelles. Lucioles. Hautes herbes. Kuzuno-Ha. Je marchais tout droit dans la nuit. mais avec l’impression d’être sans jambes. Seul résonnait avec clarté le bruit de mes sandales. – dont on eût dit qu’elles ne m’appartenaient pas, que c’étaient des êtres totalement indépendants de moi. Je me retournai doucement et regardai le Fuji. Il était comme une flamme aux reflets bleus flottant dans le ciel. » Me languis d’aller le voir de près. De jour comme de nuit. Et pourquoi pas avec mon James sur le dos ?

 

Ce concerto en mi mineur d’Elgar, interprété par l’étoile filante Jacqueline du Pré au violoncelle (Daniel Barenboïm à la baguette de l’Orchestre Philharmonique de Londres en 1967),  est l’une des œuvres préférées de la violoncelliste Claire Oppert, reçue par Chloë Cambreling sur France Culture et découverte en podcast cette semaine. Quelle découverte ! La musicienne a choisi d’orienter son art vers le soin et de devenir thérapeute musical. Elle a commencé à jouer d’abord auprès de jeunes autistes, puis auprès de femmes et d’hommes qui vivent dans des Ehpad, et puis dans des unités de soins palliatifs. La musique qui soigne, qui apaise, parce qu’elle parle à l’intelligence du cœur. Parce qu’elle a la capacité d’aller chercher à l’intérieur de chacun ce qui est encore intact et source de joie. 

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Une apparition dans le port de Cannes. Ce cygne en face du vieux quartier du Suquet. Affamé, le pauvre. Il s’est approché lorsqu’il m’a aperçu sur le quai. N’ai eu rien d’autre à lui offrir que mon émerveillement. L’ai salué et lui ai confié un autre de mes rêves, tiens, tout aussi vivace que celui du Fuji : réussir à jouer un jour sur mon James ce morceau-là :

 

Le Cygne de Saint-Saëns – Yo-Yo Ma, violoncelle et Kathryn Stott, piano

 

Hiver #3 Partitions et lectures en tous genres

Se sentir un peu ours sur les bords. Ou marmotte. Tortue aussi. Penser l’hibernation tout en promenant. Deviner soudain les petites taches noires sur la partition embrouillée des nuages. Imaginer une destination à ces nuées d’oiseaux. Près de l’océan, là-bas.

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De retour, retrouver James, mon cher violoncelle. Une bonne heure. Comme chaque jour. Réviser les morceaux déjà appris : L’Ave Verum de Mozart, la petite berceuse de Brahms (Wiegenlied opus 49, N°4) et puis Das Blümchen Wunderhold de Beethoven. Pour la première fois, réussir à jouer ce petit lied sans crisper les lèvres, en cherchant le plus de relâchement possible dans les bras, les doigts et notamment main droite, celle qui tient l’archet. Sentir James vibrer contre ma poitrine et le haut de mes cuisses. Plaisir physique. Mesurer les progrès à toutes petites touches. Peut-être ce mois-ci, la découverte de la quatrième position. Vraiment hâte, mais… apprendre le cello, c’est une école de patience et d’humilité.

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Non-loin du poêle, prendre le temps d’écrire. Retravailler Mireille la Trompettaïre et Aimé le cantonnier avant d’envoyer les deux textes à Céline pour traduction en provençal. Lire dans le semainier d’Anne Savelli « trouver enfin un éditeur ou une éditrice pour Volte-face, mon livre sur Marilyn Monroe ». Bauduennois.e.s anonymes et Norma Jean Baker, même combat… Continuer de fuir les news – télé, radio – , lire dans Le Monde Diplomatique un article passionnant consacré à la résurgence de l’antisémitisme en Allemagne et aux politiques de mémoire instrumentalisées par l’anticommunisme. (https://www.monde-diplomatique.fr/2021/01/COMBE/62660 ) Et puis retrouver avec bonheur, en podcast, Paul Auster, invité de la Masterclasse d’Arnaud Laporte, sur France Culture. « Je crois qu’il faut beaucoup lire et beaucoup vivre pour écrire », confie-t-il. Ça me plaît bien. Vivant je me sens, malgré le mode hibernation. Et lecteur vorace aussi, de jour comme de nuit. Ce n’est pas Herr Edgar Hilsenrath qui dira le contraire.Edgar Hilsenrath

Voyons voir…

2020 est derrière. Une année à oublier, je lis ça de ci de là. Comme si la mémoire était affaire de volonté. De choix. De tri. D’enfouissement. Elles s’accumulent, mes années et je n’oublierai pas plus celle-ci que les autres. Alors, je rembobine. 2020 donc. Sur le papier, ça faisait joli ces deux 20 collés serrés. Ça évoquait le 20 sur 20. La note ultime. Le top niveau de l’excellence. Voyons voir…

Papa

Janvier. Papa chute le 2 en promenant Choupette. Ensuite, peur de sortir. Puis goût de vivre qui s’évanouit tel une bougie à bout de souffle. Il s’en ira rejoindre le Grand Tout le 22 février. Pour toujours et à jamais. À peine un peu plus d’un mois après son 89ème anniversaire. Paul James Schulthess repose au Jardin du souvenir. Misha Maisky joua Bach et accompagna ses cendres au pied de l’arbre. Nous l’écoutâmes religieusement. Dernières volontés respectées. Parti en paix, le vieil Instituteur de la République.

carnet

Écrire. Le carnet noir se remplit de phrases. D’histoires courtes. Elle se passent toutes à Bauduen, le village natal de ma grand-mère maternelle. Ce sont des portraits de villageoises et villageois du temps de ma jeunesse. Chacun sera traduit en provençal, la langue que parlait Mémé à la maison mais interdite à l’école. À qui parleront-elles, ces histoires ? L’ignorer. Est-il important de le savoir ? Écrire pour soi d’abord, mais peut-être se mettre en quête d’un éditeur en 2021. Rêver d’un livre illustré.

mimosa

Février. Les premiers mimosas de l’année. La fleur préférée de Papa, né à Nice. Éternuer en approchant le nez de ses boutons parfumés. Déplorer qu’elle soit si fugace.

tombe

Mars. Découvrir en promenant une tombe en bord de mer, sur une île lointaine. Quelle belle vie pour le futur !

phaare

Nous voilà confinés. Se souvenir du phare miniature auprès des flots. Pour éclairer quels chemins ? Guider vers quels ports ? Vers quelles rencontres ? Vers quelles tempêtes ? Se souvenir de Yann Paranthoën au Phare des Roches Douvres. Magique, le documentaire.

arbreschéris

Avril. Donne-nous aujourd’hui nos fleurs de chaque jour. Arbres chéris, c’est tellement beau de penser aux abeilles.

Papa1

Mai. Les rides sur le front de Papa jeune. Ne les ai jamais remarquées. D’où puisait-il sa fatigue ? Instituteur. Syndicaliste. Militant communiste. Tant de réunions et tant de trajets en Solex le soir après l’école. À son retour, j’entendais les graviers crisser dans l’allée. Le pas plus lourd qu’à l’aller. Il y croyait aux lendemains qu’il imaginait. Sans doute ne dormait-il pas assez.

choupette

Juin. Choupette prend le soleil auprès de ma sœur. Elle rêve, j’en suis sûr. Là-haut ou là-bas ou nulle part, Papa et Maman dorment tranquilles. Choupette, j’aimerais te caresser un peu comme avant et te gronder aussi lorsque tu aboies pour un oui ou pour un non et que tu me casses les oreilles.

petits_fils

Juillet. Retrouver les petits-fils. Ils sont si beaux. Rajeunir soudain d’une année. Mais oui. Savoir que désormais ils ne seront plus aussi loin de ma maison. Déguster cette offrande de la vie.

concertGautier

Août. Le seul concert de l’année. Gautier Capuçon à vingt mètres de nos chaises. Se pincer. Un cadeau offert et partagé avec Marie-Laurence, ma professeur de violoncelle. Sublime soirée. Les mots si gentils du maestro, lorsqu’il m’accueille dans sa loge. Si encourageants et chaleureux qu’ils me portent chaque fois que je prends James, le cello offert par Papa. James fut son second prénom. Mon cello joue aussi pour lui.

mer

Septembre. Un an de plus au compteur. Soixante-six. Ça calme. La mer ne m’en veut pas. Elle m’accueille toujours. Tant d’anniversaires à fêter ce mois-ci. Partir partager la Méditerranée. En Espagne et à Cannes.

ruine

Octobre. Re-confiner. Se retrancher du dehors. La vie de tant et tant de gens en ruines. Ne point les oublier. Ne jamais pardonner aux massacreurs des hôpitaux.

vélo

Novembre. Remonter à vélo. Retrouver le vieux copain italien. Se bouger. Tourner les jambes. Faire monter le cœur. Remplir l’attestation. Ravaler sa colère. Respirer encore et encore. Aller saluer les brebis. Savourer.

FANCULLO

Décembre. Voir Venise et hurler. Accepter le jaillissement des insultes adressées au vieux monde qui brime, exploite et opprime. Ce vieux monde soumis aux lois de l’argent. Aux profits des gros. Au mépris du plus grand nombre. Se promettre de ne pas en rester là. De résister coûte que coûte aux casseurs de vies et aux briseurs de rêve. Ça commence ce matin.

Ludovico Einaudi – Una mattina – Gautier Capuçon au violoncelle & piano

Hiver #2 Lune et rêve de paix

Si lointains, si proches sommes. Leitmotiv de ces jours derniers, d’où que nous ayons osé contempler la lune et ses escapades, de la cime des pins jusqu’à la mer, du fond des campagnes jusqu’au creux des villes. Lointains, les horizons partagés. Proches, les espérances murmurées les yeux dans les yeux ou devant l’éternel vide du ciel. Bientôt évanouies les notes joyeuses de la fête. Tenter de mesurer la distance qui nous sépare encore et toujours de nos rêves de justice et de paix.

L’hiver se faufile en douce entre deux éclats de lumière. Sois la bienvenue, saison du ralentissement ! Il paraît que tes oripeaux de froidure vivifient le sang tout autant qu’ils le glacent face à la « saloperie du monde », comme l’écrivait Jean-Claude Izzo. Jusqu’à l’an nouveau, continuer de serrer les dents, ravaler sa colère, faire le dos rond. Ensuite, il sera grand temps de songer à réchauffer nos âmes.

Gymnopédie 1 de Erik Satie – Gautier Capuçon, violoncelle – Orchestration de Jérôme Ducros

Hiver #1 Oiseaux et bain de mer

Entamer l’hiver nouveau auprès des oiseaux, près de la mer et du long étang où quelques pêcheurs tuent leurs heures, ignorés des canards et des poules d’eau. M’extirper des espaces de la ville où suintent la claustrophobie et la phobie tout court. Mesurer mon incapacité à nommer les êtres qui volètent et s’agitent autour des barques. Me contenter de suivre leur ballet et de savourer l’acidité de leurs petits cris. Ne comprendre rien de rien à un langage vivifie l’humilité, nourrit l’imagination, excite la curiosité.

hiver2

« Pourquoi les oiseaux chantent » Dévorer cette petite merveille de livre – recommandé par mon libraire – et en ressortir sans voix devant le profond mystère de la création. Noter que les oiseaux chantent parce qu’ils s’aiment, se haïssent et voyagent. Retenir que pendant la Grande Guerre, Jacques Delamain tint son Journal d’un ornithologue. Extrait : « Les Moineaux piaillent, pendant que le bruit des 75 déchire l’air. Le Rossignol de muraille fait entendre sa note triste. Un 77 allemand tombe à une cinquantaine de mètres du bureau. Un Merle chante dans le lointain. Une Hypolaïs polyglotte chante sous le départ des coups de 90. Je remarque pourtant qu’une interruption de deux ou trois secondes a lieu aussitôt après la détonation, mais pas toujours. Par contre, une Fauvette des jardins ne suspend pas sa petite strophe commencée sous un coup de 90… » Delamain offre une initiale majuscule à chacun des oiseaux observés. Respect.

hiver3

Le premier soleil d’hiver étire les secondes et lance quelques poignées de lumière en plus. Oser un bain de mer. Nager sans compter les minutes. Interroger un souvenir lointain : mes cheveux dans la mer. Le confronter au présent : mon crâne nu entenaillé d’eau frisquette. Tirer la langue au temps qui file, aux saisons qui défilent et replonger sans retenue. Face à l’horizon, tenter de visualiser le rallongement des jours vers le printemps. Déjà.

Trois fois clic clac et puis s’en va (28) Au pays des jouets…

Garçon Souris : – Il paraît qu’on s’en va aujourd’hui…

Fille Souris : – On s’en va où ?

G. – On se lève et hop !

F. – Comment ça, hop ?

G. – Le magasin rouvre, quoi !

F. – On redevient essentiels ?

G. – Il paraît que oui

F. – Et le virus alors ?

G. – Tout pareil

F. – Tout pareil quoi ?

G. – Il est toujours là

F. – Rien ne change alors ?

G. – Si, Noël approche !

F.- On va revoir le soleil alors ?

G. – Peut-être

F. – Pas sûr ?

G. – Il faudra se faire acheter !

F. – Et si personne ne veut de nous ?

G. – Nous resterons cloîtrés au pays des jouets

F. – On est bien quand même ici sur nos petits fauteuils

G. – Mouais… ça manque de vie, tu ne trouves pas ?

F. – La vie, c’est donc dehors que ça se passe ?

G.- La vraie vie, ce n’est pas dedans

F. – La vraie vie, c’est au-dedans de soi aussi

G. – Oui, oui. Mais pas de dedans de soi sans le dehors

F. – Tu philosophes maintenant ?

G. – Depuis le printemps, j’ai appris ; nous avons eu le temps de réfléchir, non ?

F. – Donc là, toi tu dis Youpi Tralala ?

G. – Je dis Ouf, surtout !

F. – Ouf, tu sais, c’est fou à l’envers…

G. – Oui, oui, c’est fou ! À l’image de nos vies…

Oui Oui au Pays des Jouets – Générique

Contribution #25 J’accueille aujourd’hui les photos et les mots de Delphine. Mille mercis !

Sur les hauteurs de Foix. De là-haut, rien n’a changé…

En suspension, hors du temps, retrouver la foi, miracle de la nature. 
Rien n’a changé.
Un jour, un jour – Jean Ferrat chante Aragon

Remerciements chaleureux à Claude, Dany, Mimi, Dominique, Éric, Josie, Chantal S. C. , Anne, Noémie, Christine, Zoé, Chantal H. , Romain, Georges, Joss, Momomi, Toshiko, Paule, Annick, Franck, Mireille, Patricia et Delphine pour leur amicale participation au feuilleton, en photos et en mots. Ce fut un grand plaisir de lecture et de partage.

(À bientôt…)