Descente au Verdon

Ce texte est ma contribution à la deuxième proposition de François Bon dans son atelier d’écriture en ligne sur le thème du lieu. Le mouvement, mais sans verbe. Une consigne : pas de verbe, donc, usage de l’infinitif et du participe présent, verbe conjugué réservé aux propositions relatives ou complément. Pour le plaisir, j’y ai ajouté la consigne du premier atelier de cette série : un seul signe de ponctuation : le point-virgule. Bienvenue dans ma Descente au Verdon.

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La place aux marronniers ; aux trois-quarts revêtue de sable ocre et de terre fine pour les parties de pétanque ; l’autre quart goudronné menant aux rues du village cul-de-sac en longeant l’immense façade blanche large et haute comme un fronton de pelote ; les hirondelles à fleur de poussière, le long des maisons et jusqu’aux toits aux tuiles brûlantes ; en contrebas de la place la route des aller-retours vers l’ailleurs ; les arrivées dans la petite fourgonnette Renault Alouette depuis Aups via Brignoles ; plus grand l’autobus au départ de Marseille en juillet ; à présent une descente à pied vers le Verdon après la sieste ; notre balade préférée en été ; sur nos têtes les bérets chapeaux de cow-boys casquettes blanches au liseré brun pâle de sueur larges coiffes de paille avec rubans lavande pour les dames et mon petit couvre-chef en feutre vert comme celui de Peter Pan ; le goudron ébène fondu collant aux semelles des sandalettes ; les amandiers calligraphes avec quelques points sombres sur les branches sveltes ; les rares amandes encore accrochées épargnées par la cueillette ; tête tantôt bien droite vers les vergers et les champs en jachère tantôt baissée vers les chaussures car la pente raide et parsemée de gravier par endroits sur la petite route toute en lacets ; le souvenir des chutes plus jeune ; tout petit garçon ; la trace encore vivace aux genoux ; après deux trois virages le regard tendu vers le mas de Tante Berthe en direction des Basses-Alpes ; sa peau traversée de rides douces avec un duvet d’adolescente au menton ; le sourire tendre et quelques dents absentes près des canines ; sa chèvre trainée depuis la cave jusqu’au pré nourricier ; absente peut-être à cette heure ou encore à la sieste car levée si tôt en toute saison ; passé le mas les chênes truffiers de Mémé ; discrets et feuillus ; déjà la soif au gosier et la gourde en fer blanc, cabossée tirée du sac à dos avec les écussons de tissu cousus sur les poches latérales ; la Savoie les Landes la Corse ; et le préféré de Maman l’Edelweiss ; petites gorgées d’eau à peine tiède ; à l’économie la halte courte avec copains et parents ; point d’ombre pour un semblant de fraicheur ; point de voitures non-plus ; point de attention ! hurlé par Mémé à l’entrée d’un virage ; toutes au garage à cette heure-ci les rares voitures du village ; et aucun estranger pour se hasarder tout là-haut dans ce bourg perdu posé au pied de ses rochers comme un décor de crèche ; des sauterelles en folie dans les buissons secs de chaque côté de la route ; parfois une abeille affolée au ras du visage ; ou peut-être une guêpe ; le chant des cigales en bruit de fond ; tellement installé de l’aube au coucher que presque absent du présent ; bientôt le carrefour à la fontaine ; en approche un croisement au nom oublié ; côté mer – car devinée et au loin à une centaine de kilomètres – les larges champs maraîchers sur la fertile terre en bord de Verdon ; patates poireaux courgettes ; pas de souvenir de tomates ici ; côté montagnes – car visibles au-dessus des futaies grises et blanches et déjà hautes – les petits chemins menant à la rivière terminus de la promenade ; précisément sur les galets bouillants ; les affaires jetées à la hâte et les jambes déjà dansant parmi les remous ; de l’eau jusqu’aux chevilles puis jusqu’aux genoux ; la baignade teintée de cris de joie et de peur mêlées devant les tourbillons en attente du faux pas ; et les yeux perdus de plaisir dans le flot bleu azur bruyant et glacé jusque vers la Durance .

Traversée

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Traverser la campagne givrée
train presque fantôme
juste le crissement des freins
et le claquement des rails
pour déchirer le silence du petit matin
avancer
rentrer
retourner
yeux fermés
souffle presque fantôme
juste la danse légère du sang
sous la peau fatiguée
puis
presque par surprise
se retrouver en pleine lumière
et prier
prier encore
à la mort des fantômes

La baleine amoureuse

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Il était une fois une baleine blanche
lasse des misères subies
des harpons
des fusils
de tout ce sang versé
des deuils au cœur de l’océan
décida d’émigrer
vers notre terre mère
s’approcha en silence
de la misère blême
du théâtre des guerres
devint grise
se posa près du ciel
où s’enfuient les oiseaux
en appela un
lui déclara sa flamme
lui demanda son aile
pour s’échapper sans un cri
du monde laid des humains

Les ours blancs

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Les ours blancs nous regardent
en silence

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ils ont trouvé refuge
sur la vieille porte d’entrée en chêne massif
ils observent notre danse effrénée vers le néant
forêts
océans
nuages
notre intraitable marche vers le chaos
voudraient nous alerter
nous demander d’arrêter nos guerres
nos massacres
nos razzias

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muets les ours blancs
caressés de mes pauvres doigts
sur cette vieille porte d’entrée
où je viens clouer ma peine

On dénombre actuellement entre 20.000 et 25.000 ours polaires dans le monde, dont la survie ne tient plus qu’à une mince couche de glace.

 

Sans voix devant ces photos d’Alep

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Manu Brabo / AP

Je reste sans voix
face à l’horreur
de ces photos d’Alep

adolescent
je fus un jour à Buchenwald
muet déjà
face à l’indicible de l’Holocauste

de retour mon père me parla d’Hiroshima
du massacre des Indiens d’Amérique
il me raconta les guerres de religion
le goulag
la torture en Algérie
les doigts coupés de Victor Jara

un jour il me parla d´Oradour
de Gernika
plus tard je découvris Sabra et Chatila
Srebrenica

mon père me nomma aussi les hommes de paix
Gandhi
Martin Luther King
Mandela

et puis il me fit écouter Lennon
Dylan
et Jean-Sébastien Bach

aujourd’hui
je ne peux rien lire
rien écouter
sans avoir envie de pleurer
impuissant et honteux
devant ces photos d’Alep

il me faudra pourtant
je le sais
continuer à croire en l’humanité
parler d’amour à mes enfants
leur raconter les tragédies
leur nommer l’innommable
leur dire le martyre du peuple syrien
leur montrer les photos d’Alep
et espérer un monde de paix

SYRIA-CONFLICT

Ameer Alhabi / AFP Photo

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Ameer Alhabi / AFP Photo

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Abdalrhman Ismail / Reuters

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Manu Brabo / AP

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Hosam Katan / Reuters

 

 

 

La petite route de montagne

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Toujours aimé me rapprocher des frontières
de l’ailleurs à portée de pas
des coins reculés du monde
l’Espagne pas loin dimanche dernier
une escapade en montagne
les Pyrénées
l’horizon à flanc de cime
la petite route glacée pour monter au village
s’y parla longtemps et s’y parle encore un peu de ci de là le parler d’ici
l’occitan joli

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Edelweiss sur la cheminée
on en trouvait tant au pays montagneux de mon grand-père
de l’autre côté de nos Alpes
de l’autre côté de l’autre frontière
celle qui ouvre sur la Suisse et l’Italie
les langues y roulaient leurs r

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montagne de Corse aussi
l’Île blanche
sans autre frontière que la mer
la patrie de l’autre grand-père
cette Corse au teint de feu
aux saveurs de châtaignes
et cette langue belle et douce
chantée par les poètes
apôtres de paix

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tout là-haut cet après-midi-là
suivre la marche du soleil
approcher en silence visages inconnus
saluer leur mémoire
puis se remettre en route
s’éloigner de la frontière
redescendre sur cette petite route glacée
où se croisent encore parfois nos semblables
comme une apparition

Liberté pour Aslı Erdoğan

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À Paris, Bordeaux, Nantes, Brest et tant d’autres lieux hier-soir
des femmes et des hommes sont venus crier Liberté pour Aslı Erdoğan
partout a été lue une lettre de l’écrivaine turque
écrite depuis la prison pour femmes d’Istanbul
entre maison de fous et léproserie
où elle est enfermée depuis juillet
accusée de terrorisme
elle risque la prison à vie

hélas pas pu me rendre à l’un de ces rassemblements
alors, en solidarité et en soutien à Aslı Erdoğan
j’ai lu un extrait de Le visiteur matinal
l’une des nouvelles de son recueil Les oiseaux de bois

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À la Maison de la poésie à Paris
la maman de l’écrivaine était là
émue et digne
devant elle, Françoise Nyssen, Présidente d’Actes Sud
a tenu à témoigner
c’est elle qui édite Aslı Erdoğan

Je suis venue vous dire qu’Asli a trouvé sa maison chez Actes Sud,
un abri, un foyer, un recours.
Nous publierons bientôt un texte qui a été interdit jusqu’à aujourd’hui en Turquie,
et nous continuerons de le faire.
Asli est un écrivain – elle a une patrie mais elle est sans patrie ; elle a écrit des livres magnifiques sur Rio et Genève, elle écrit sur la mort, sur la douleur des gens .
Lisez-la, et vous comprendrez qu’elle ne PEUT être une terroriste.

Yigit Bener, ami intime et traducteur d’Aslı a parlé lui aussi

Face à tant d’oppression, il nous reste la dérision.
On m’a toujours dit :  » Ah, mais tu ne ressembles pas à un turc » , à Paris comme en Turquie. Inch’Allah – je souhaite un avenir moins sombre pour tous les écrivains et les journalistes – il nous faut à toute force la solidarité dans le monde et la liberté d’expression en Turquie. Il faut faire, et encore faire, et ne jamais cesser de faire.

Aujourd’hui, Aslı Erdoğan vit avec des problèmes de circulation sanguine
elle souffre d’une infection des poumons, d’une hernie discale et d’hypoglycémie
elle est menottée pour aller à l’hôpital et parfois le médecin n’est même pas là
elle connait la solidarité qui est née en Turquie et dans le monde
ce qui compte énormément pour son moral et dans sa solitude
son audience est prévue pour le 29 décembre

Actes Sud publiera ses chroniques littéraires  – qui lui ont valu d’être arrêtée – en janvier prochain sous le titre Le silence même n’est plus à toi
elles ont été lues hier soir à la Maison de la poésie par Céline, une comédienne turco-française

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Chaque matin sur Twitter, je poste une photo de ciel pour Aslı Erdoğan
comme je le fis il fut un temps avec des fleurs pour l’artiste chinois Ai Weiwei
je continuerai tant qu’elle ne retrouvera pas la liberté

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* Anne Savelli, Mathilde Roux, Joachim Séné, Pierre Cohen-Hadria, dédient une page à sur leur site L’aiR Nu

* Tous les matins à 8 heures, le magazine Diakritik met en ligne un texte par jour, jusqu’à la libération d’Aslı Erdoğan, avec le titre On n’enfermera pas sa voix

 

 

 

 

 

 

L’amoureux des perroquets

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Enfant, ses amis l’appelaient Jean-des-oiseaux
toujours entouré d’oiseaux il était
une vraie volière, sa maison
aujourd’hui, Jean-Michel-perroquet lui irait très bien
très bavard le Monsieur
et surtout amoureux des huit spécimen qu’il côtoie
de sa salle à manger à sa véranda
de sa cuisine à son jardin
parmi eux, Charlie, un perroquet amazone à front bleu

 

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La place

La place sur laquelle vous allez avancer est le texte de ma contribution au nouveau cycle d’atelier d’écriture que François Bon vient de lancer sur son site le tiers livre.
Le thème tient en quatre lettres : le lieu.
Ou comment « appréhender le lieu en tant qu’acteur même de la narration ».
François nous propose une consigne. Une seule. Parler du lieu choisi en une seule phrase-paragraphe. Avec un seul signe de ponctuation : le point-virgule.
Bienvenue sur ma place.

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Il n’y a plus de place sur cette petite place ; on n’y respire plus l’air des tilleuls et des platanes ; envahie elle est de voitures de motos et de cacas de chiens ; de graffitis aussi ; nous y vendions l’Huma le dimanche-matin ; Maurice arrivait le premier ; il habitait à deux pas dans un immeuble La Savoisienne ; il était postier ; il avait fait la Résistance ; mon père me l’avait raconté ; Franc Tireur Partisan ; Maurice en parlait rarement ; sinon lui venaient les larmes aux yeux ; nous arrivions d’en bas avec Louis ; il habitait tout près de la mer ; il passait me prendre ; nous amenions les journaux ; nous tournions le dos à la rade et montions vers la place en sifflant ; Louis était cantonnier ; le jour de mon Brevet il m’a accompagné en mobylette au lycée Pagnol ; orange la mobylette ; il fumait beaucoup ; une derrière l’autre ; juste avant d’arriver sur la place nous longions l’Impérial ; j’y ai vu tant de westerns ; mangé tant de frigolos à l’entracte ; aujourd’hui ce cinéma est mort ; devenu une Maison pour tous ; sur la gauche de la place une école faisait angle en surplomb ; elle a disparu elle aussi ; ils ont construit une banque à la place ; Louis connaissait chaque rue d’Endoume ; chaque habitant de chaque maison de chaque rue ; Louis était le roi du quartier ; le roi de la place ; L’Huma se vendait comme des petits pains ; le muguet du 1er mai s’arrachait lui aussi ; quand on avait fini on buvait un casa ; on trinquait à la santé du Parti ; le bar n’existe plus ; agence immobilière à la place ; il ne reste plus que Loulou, le coiffeur pour hommes et Aldo le marchand de raviolis ; le trolleybus s’arrêtait juste devant notre petite table de camping sur la place ; c’était le 63 ; le traminot nous taquinait ; Duclos vous passe le bonjour il lançait ; il roulait les r comme lui ; Ginette la fleuriste à côté de Aldo rigolait ; maintenant  le trolley ne passe plus ; un jour ils sont venus démonter les rails en l’air ; un bus a pris le relais ; Ginette est morte il y a deux ans je crois ; on l’a retrouvée un soir sur la place ; inanimée ; une affichette à vendre est collée sur sa vitrine ; lettres noires sur fond rouge pâle.