Des moines ? Ainsi soit île !

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Je n’avais jamais approché un moine d’aussi près. Et plusieurs en même temps encore moins. Ce jeudi, ils étaient une vingtaine à partager leur messe matinale, en l’église de l’Abbaye de Lérins, sise sur l’île Saint-Honorat, au large de Cannes. Depuis seize siècles, une communauté de moines cisterciens y prie et y travaille. Leurs maitres mots : silence, recueillement, ferveur, partage. Jeudi, les moines avaient invité un chœur américain à chanter avec eux : The Gustavus Choir, un ensemble luthérien venu du Minnesota.

Que l’on croie ou non en Dieu, cette messe chantée a capella fut magnifique.

En voici quelques moments choisis.

La mer boulègue, mais…

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La mer boulègue, je m’émerveille mais il y a des mais…
Puissante, grisante, affriolante, affolante.
Ivresse de jeunesse, joie de minot.
Y plongerais, y nagerais, mais mon courage est givré.

Mais comment donc font celles et ceux arrivés de loin là-bas et qui s’échouent près de nos côtes ?
Comment traversent-ils ce calvaire, cet absence d’horizon ?
Et nous, comment continuons-nous à manquer de courage au point de les refouler, de les abandonner loin de nos yeux ?

La mer boulègue, mais l’ivresse et la joie deviennent honte et tristesse.

Comptine fugace

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Envolée plongeon chute ascension abysses galaxie ivresse vertige apnée chamade nuages vagues vent liberté suspens chance risque voyage hasard azur fil écume doigts serrés peur lâcher transparence rubans échappée tournis perte presque frise sarabande embruns rafales méli-mélo rêve d’enfant.

Comptine fugace. Faire sonner les mots par groupe de trois ou de deux, comme on veut. Trouver son rythme. Ajouter deux trois notes. Répéter à volonté.

Sourire au cerf-volant.

Un vrai Umarell marseillais

Umarell. J’ai découvert ce mot l’autre jour sur Twitter. Ne l’avais jamais entendu, mais il me plaît car avec ses deux « l ». Il sonne comme un mot catalan, un terme de la grande famille de l’occitan. En fait, Umarell vient du dialecte populaire de Bologne et décrit les hommes retraités qui passent leur temps à observer les chantiers de travaux publics, les mains jointes dans le dos.

Mon Pépé Paul – décédé en 1990 à l’âge de 90 ans – fut un vrai Umarell marseillais Je me souviens de ses escapades quotidiennes en trolley dans les années 60-70. Avec sa carte de la RATVM* au tarif retraité, il sillonnait Marseille de ligne en ligne et de chantier en chantier. Tunnel du Vieux-Port, construction du métro, rien ne lui a échappé. Au repas du soir, il nous faisait un récit détaillé de ses découvertes. Parfois, au lieu de m’accompagner à la mer ou de m’emmener à la pêche, Pépé me conduisait sur l’un des chantiers qui lui faisaient tant briller les yeux. Nous restions deux trois heures à bader le ballet des ouvriers sur les marteaux piqueurs, les grues et les pelles mécaniques. Je me souviens que nous ne disions mot devant ce spectacle et qu’au bout d’un moment, sentant que je fatiguais et me lassais sans doute un peu, il me lançait en roulant les « r » – allez Érrric, c’est l’heurrre de rrrentrrrer  !

Les chapacans qui nous gouvernent ne sont pas à une vilenie près : ils viennent de décider que c’est désormais à 64 ans, pas avant, que les travailleurs pourront partir à la retraite et donc entamer, s’ils le désirent, une carrière d’Umarell. Je ne vois guère qu’une grève générale pour tenter d’empêcher ces nuisibles de continuer à bousiller la vie des gens.

*La RATVM, Régie autonome des Transports de la Ville de Marseille, est l’ancêtre de la Régie des Transports de Marseille, aujourd’hui Régie des Transports Métropolitains

Photo d’illustration @Wikipedia : le trolleybus de la ligne 63 qu’empruntait mon Pépé au départ de chacun de ses périples. Il montait au Terminus Église d’Endoume près duquel nous vivions.

Un vrai fadoli

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C’est chaque année pareil lorsque je promène près de la mer. Il suffit que le soleil fasse soudain semblant de réchauffer ma peau comme en été pour que le désir de me baigner devienne irrésistible. J’ai beau savoir que ne nous sommes que début janvier, que l’hiver me gelait la tête et les os il y a deux jours à peine, que je traîne un sale rhume depuis dimanche et que la mer ne dépasse pas les treize à quatorze degrés, il me faut tomber la chemise, ôter pantalon, chaussettes et chaussures et me jeter à l’eau. Un vrai fadoli, je sais…

Ah, ça pique beaucoup au départ ! Ça picote les pieds, puis les jambes, puis le reste. Ensuite, trop tard pour renoncer, il faut y aller tout entier. Les premières crawlées tirent sur la bête, ça grince aux épaules, les gambettes battent sans rythme, la respiration s’accélère et je me sens tel un vieil oiseau de mer déplumé, effrayé par son soudain manque d’aisance et de légèreté. J’en rigole tout en avançant et je passe bien vite à la brasse, moins gourmande en souffle et en énergie. Soudain, tout semble plus facile. La carcasse et les muscles se sont un peu réchauffés. Le crâne se sent libéré des crocs glacés qui l’enserraient il y a quelques poignées de secondes. La joie affleure. La tête me tourne. La mer semble tiède. Je savoure cette ivresse. Mais le corps commence à grelotter, alors il est temps de retourner vers la rive. Le soleil m’accueille gentiment. Demain, il aura peut-être un tout petit peu réchauffé la mer et je reviendrai.

Fils de tirailleur sénégalais

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C’est aujourd’hui que sort Tirailleurs le film de Mathieu Vadepied dédié à l’une des pages de l’Histoire de France les plus méconnues du grand public, l’engagement de près de 200.000 tirailleurs africains et notamment sénégalais dans la Guerre de 14-18. Omar Sy y tient le rôle principal, ce qui a suffi ces derniers jours à faire une énième fois sortir de leur sale trou les racistes et les nostalgiques des colonies qui aimeraient tant que tous les non-Blancs ferment leur bouche.
Pas surprenant que ces salauds osent encore s’exprimer ainsi. Cela continuera tant que la France n’aura pas entrepris en profondeur un véritable travail de deuil de ses colonies. Ce qui suppose bien sûr aussi qu’il lui faudra officiellement demander pardon pour tous les méfaits et toutes les horreurs qu’engendra le colonialisme à la française.

La sortie de Tirailleurs m’a rappelé cette rencontre avec le fils d’un ancien combattant, il y a huit ans au Sénégal. C’était à Mbour, sur la Petite Côte, au sud de Dakar. J’étais allé chercher deux bagues en argent commandées quelques jours plus tôt chez Socé Dioukh, un artisan bijoutier. Il m’avait présenté son travail, je l’avais remercié et nous avions bavardé de choses et d’autres. Jusqu’au moment où mon regard s’était posé sur une photo, accrochée derrière lui. C’était celle de son papa, ancien combattant de 14-18, de 39-45 et de la Guerre d’Algérie.
Voici ce que Socé Dioukh m’avait raconté de son père, tirailleur sénégalais :

 

Pour prolonger ce témoignage, lire ce reportage de TV5Monde consacré aux héros du film.

Berger de l’avenir

J’ai franchi le cap entre l’année défunte et l’an neuf aux côtés du regretté Richard Brautigan. Embarqué dans son Tokyo-Montana Express, rien que de courtes histoires il nous offre. Poèmes en prose, récits teintés d’évanescence, croquis empreints d’absurde, de burlesque ou de merveilleux. Chacune des stations de ce trajet imaginé de chaque bord du Pacifique, Japon et States, me met en joie ou en sourires ou en pensées tristes ou en souvenirs vivaces. La mélancolie ne navigue jamais très loin. Ça tombe bien. Elle m’accompagne souvent lorsque se meurt une année pour laisser place à une nouvelle. C’est ainsi depuis longtemps. Alors je poursuis mes voyages dans les livres.

Pour entamer ensemble l’année qui commence, voici lu à voix haute l’un de mes textes préférés de ce Tokyo-Montana Express  : Le vendeur de lits.

Bonne écoute et tous mes vœux de paix, de joies et de plaisirs à chacune et chacun pour 2023 !

Tokyo-MontanaExpress

La vie en rouge

Devant les stupéfiantes photos de Boris Mikhaïlov*, j’ai applaudi le génie poétique de cet artiste frondeur et provocateur, à la fois photo-reporter, peintre et performeur. Depuis les années 60, il a documenté avec humour et gravité la lente et inexorable agonie de l’Union soviétique, depuis l’Ukraine, sa terre natale. J’ai ressenti une immense tendresse pour ses anti-héros photographiés dans des lieux ordinaires. J’ai frémi devant les photos de ces gens à la rue, les laissés-pour-compte, totalement abandonnés une fois écroulée l’URSS.

Je me suis souvenu avec tristesse du communiste que je fus et qui crut longtemps aux lendemains qui chantent teintés de rouge et décorés d’une faucille et d’un marteau… En sortant de l’expo, je me suis mis à fredonner « Le communisme sans les inconvénients », une chanson de Moussu T e lei Jovents.

« Le mot russe pour rouge (krasni) comporte la même racine que celle du mot beauté. Il signifie aussi la Révolution et évoque le sang et le drapeau rouge. Tout le monde associe le rouge au communisme. Mais peu de gens savent à quel point le rouge a traversé nos vie, à tous les niveaux. »

Boris Mikhaïlov

*Rétrospective à la Maison Européenne de la photographie, jusqu’au 15 janvier 2023

 

 

Un cri infini

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J’ignorais qu’Edvard Munch fut travaillé par l’angoisse et le doute existentiel à un point tel qu’il
déclina cinq fois le motif du Cri, son tableau le plus célèbre.
Je l’ai pris en pleine face, ce hurlement, au détour de l’exposition que lui dédie le Musée d’Orsay .*
Cette version imprimée, tellement épurée, m’a encore davantage horrifié que le célébrissime chef d’œuvre au coucher de soleil rouge sang.
Je l’ai entendue m’interpeler cette silhouette décharnée, depuis la passerelle qui s’allonge au-dessus du Fjord d’Oslo presque abandonné.
Comme si une momie surgie du fond des siècles surgissait pour jeter à ma face toute l’horreur que lui inspire notre temps présent.
Comme si elle se rapprochait de moi en lançant avec rage : – vous n’avez rien appris, rien de rien ! Ni des pogroms, ni des camps de la mort, ni des génocides et vous continuez à vous vautrer dans la saloperie du monde !
Dans son journal, en janvier 1892, Edvard Munch écrivit : « Je me promenais sur un sentier avec deux amis – le soleil se couchait – tout d’un coup le ciel devint rouge sang. Je m’arrêtai, fatigué, et m’appuyai sur une clôture. Il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville. Mes amis continuèrent, et j’y restai, tremblant d’anxiété. Je sentais un cri infini qui passait à travers l’univers et qui déchirait la nature. »

*jusqu’au 22 janvier, « Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort »

LeCriGrosPlan