Migrateur

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Puisqu’il faut rentrer
redescendre de la montagne
retourner sur le sol d’avant
non-pas cheminer à reculons
non
se placer dans l’autre sens
revenir dans les contrées laissées en friche
redessiner les contours effacés
laisser le ciel peser sur les silences et les cris d’ici

puisque l’heure sonne d’un nouvel abandon
chaque fois il le faut
oui
abandonner encore
toujours pareil
c’est
enfouir à nouveau le lien ténu avec la neige et la glace
gommer l’éclat des roches
rayer l’alphabet des écorces
écrire cette lumière et repartir

puisqu’il faut oser l’au-revoir
tourner le dos
quitter
couper
perdre

s’en remettre à présent aux calligrammes des migrateurs
redécouvrir leur grâce au-dessus des branches frêles
goûter les traces laissées aux pieds, aux doigts, au corps tout entier
puis, savoir se fondre dans les rêves de départ

Der Wanderer – Franz Schubert – chant : Dieter Fischer-Diskau – piano : Gerald Moore

Livres de ma vie / Calligrammes #2

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Les vers de ce sublime poème d’amour dessinent le visage de la bien aimée. L’ai découvert tout jeune, à l’époque de mes premières amours tenues au secret par timidité. Ou bien parce que c’était sans doute plus fort encore de les taire et de leur préférer la beauté des lettres ainsi posées sur la feuille. Plus fort peut-être de s’attarder un instant sur les sons de ces mots à peine murmurés face à la fenêtre de ma chambre qui donnait sur la mer. J’ignorais à l’époque que ce texte figurait dans le recueil Poèmes de la paix et de la guerre, écrit par Apollinaire entre 1913 et 1916. La tragédie absolue de la Grande guerre vint en moi plus tard. Lorsque ma grand-mère raconta que son promis n’était jamais revenu du front.

 » Reconnais-toi

Cette adorable personne, c’est toi

Sous le grand chapeau canotier

Œil

Nez

La Bouche

Voici l’ovale de ta figure

Ton cou Exquis

Voici enfin l’imparfaite image de ton buste adoré

Vu comme à travers un nuage

Un peu plus bas c’est ton cœur qui bat « 

Guillaume Apollinaire (1880 – 1918)

Livres de ma vie / Calligrammes #1

Calligrammespageavectitre

En pleine écriture d’un texte consacré à Alphonse Richard, le tout premier Dignois tué à la Guerre de 14, je prends le temps de relire des calligrammes de Guillaume Apollinaire, dont je goûte tant la poésie depuis l’adolescence. Voici le texte du somptueux Jet d’eau

 » Douces figures poignardées

Chères lèvres fleuries

Mya Mareye

Yette et Lorie

Annie et toi Marie

Où êtes-vous ô jeunes filles

Mais près d’un jet d’eau qui

Pleure et qui prie

Cette colombe s’extasie

Tous les souvenirs de

Naguère

Ô mes amis partis en guerre

Jaillissent vers le firmament

Et vos regards en l’eau

Dormant

Meurent mélancoliquement « 

Guillaume Apollinaire