Dans le Tanger de Candice Nguyen

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Il faudrait pouvoir dérouler la longue contemplation
du détroit de Gibraltar et de Tarifa :
cette Europe qui semble si proche, si proche…
combien de personnes noyées entre ses bras ?
déstabilisant le vertige ressenti ici
depuis le petit muret sur lequel nous sommes assis.

Ils résonnent fort en moi ces mots de Candice Nguyen publiés dans son Carnet tangérois me souviens que début mars à Tarifa de ce côté-ci de la mer avais marché avec mon amoureuse jusqu’au bout de la digue qui mène à l’Île des Colombes le point le plus au sud de l’Europe l’endroit où se mélangent l’Atlantique à droite en regardant la mer et la Méditerranée à gauche avec le Maroc en face juste là on touchait presque Tanger nous étions émerveillés devant ce ballet des flots avions senti aussi monter en nous de la honte devant cette Méditerranée qui pleure tant de migrants disparus noyés à quelques brassées à peine de notre continent tellement égoïste ensuite je me souviens avions hésité un moment à prendre un ferry et partir découvrir Tanger et puis non trop court pas assez de temps devant nous une journée bien trop court Tanger ne se déguste pas au pas de course alors en remontant vers Cadix et Séville nous sommes promis d’y aller sans tarder en prenant vraiment le temps cette ville magique Candice l’a arpentée l’a respirée l’a lue l’a photographiée y a écrit combien de temps est-elle restée je ne sais mais de là-bas elle a ramené un Carnet tangérois tellement beau tellement touchant que je ne résiste pas au plaisir d’en lire à voix haute un extrait Le Café à l’anglaise ça s’appelle

à Tanger irons bientôt j’espère Inch’Allah boire le thé et parler avec ces femmes magnifiques qui le tiennent en écoutant Sabâ Peşrev – Tanburi Büyük Osman Bey découvert grâce à Candice.

 

Photo de ci-haut @CandiceNguyen

 

Carnet d’Afrique #6

femmes

Rares. Les Blancs se font rares.
Quelques Toubabs ventrus traînent leurs rides et leurs 4X4 en direction des serveuses aux tresses brillantes. Les yeux accrochés aux doigts sarments des demoiselles. Osent à peine deviner leurs dents du bonheur au creux de leurs lèvres divines. Il faudrait se taire. Surtout ne rien dire qui vienne gâcher ces secondes de grâce fugace. Mais ils ne savent goûter ce suc. Ignorent le sel du silence. Murmurent un vague compliment sur le tissu de leurs boubous. Aucun regard en échange. À peine un merci susurré sans sourire. Les boissons servies, elles s’échappent d’un pas souple vers la caisse où tinte le petit bruit sec et maigre du franc CFA.
Leur richesse à partager avec qui saura approcher la vive et fière douceur de leur âme.

(à suivre)

Carnet d’Afrique #2

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Il croise dès l’aube les enfants en guenilles.
Longent les baraques cousues de fer blanc. Mendient aux abords des échoppes où s’achète le pain quotidien, le lait en poudre et les bidons d’eau en plastique. Essaims de gamins faméliques. Épuisés. Escouades ensommeillées. Vidées. Des bras et des jambes secs et maigres comme des branchages rescapés du feu. Pleurs séchés au coin des paupières. Morve en filet sous les narines. À chacun sa cuvette en plastique jaune. Ne tinte que de quelques morceaux de sucre lancés par une femme en boubou bouton d’or et turban bleu outremer. Son fils à elle part à l’école en uniforme bleu ciel dans un bus blanc sans équivoque. « Dieu seul ». C’est écrit sur le flanc. Oui, Dieu bien seul face aux petits talibés qui se dispersent comme une volée d’insectes. Le regard de certains teinté de honte. Quelques visages masqués par la cuvette ou un coin de haillon.

(à suivre)