Un livre et des haïkus pour Kamaishi

Couvenattendant-la-pluieDix ans jour pour jour ont passé depuis le 11 mars 2011 et le terrible tsunami qui endeuilla le nord-est du Japon. La ville de Kamaishi pleura près de 900 morts et des milliers de disparus. Deux ans plus tard, en mai 2013, de retour d’un voyage là-bas, j’ai  décidé d’écrire En attendant la pluie, un conte dédié à toutes les personnes que j’y ai rencontrées et qui m’ont bouleversé. Ce petit livre publié aux Éditions Parole est bilingue, en français et en japonais. Il mescle deux langues, deux sonorités, deux cultures. En voici les premières phrases, lues par moi même et par Momomi Machida, qui a traduit le livre.

En hommage aux gens de Kamaishi, si dignes et si courageux, j’avais à l’époque avec mes deux jeunes enfants Zoé et Marius, récité et enregistré quelques haïkus des grands maîtres japonais. Leurs voix ont bien changé depuis mais je me souviens de notre émotion commune ce-jour-là.

14 mélodies du Japon – André Navarra 

Photos de Kamaishi (mai 2013) @ErisSchulthess

Plus anonyme tu meurs

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Les mots pour le dire

« Tu sais, plus anonyme on ne fait pas. Des journées, des mois, des années par dizaines que tu existes et pourtant tu n’es plus là. De ton éphémère passage ici bas, point de photo, point de murmure, point de souffle, point de sourire. Juste l’ondulation tremblée de ta peau d’ange et de tes cheveux clairs au creux de mon sang. Je n’oublie ni tes yeux éplorés ni le poids de nos larmes sèches. Je te sais depuis toujours tapi au cœur des écorces, bercé à fleur d’écume, dissous à flots de torrents, envolé à cris d’oiseaux, blotti parmi les cendres ou réfugié au cœur des nuages. Je t’y rejoindrai en silence lorsque sonnera l’heure. Plus anonyme tu meurs. »

 

 

Melody – Sheku Kanneh-Manson

Shanghai est un deuil

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De l’autre côté de la rue où tu marches au soleil une jeune femme hurle sa douleur la photo d’un homme enserrée dans un cadre qu’elle tient contre son cœur
aux dix couronnes de fleurs posées non loin tu comprends que la mort d’un être cher a surgi dans sa vie
elle ne l’accepte pas et elle le crie
peut-être a-t-elle perdu un frère un compagnon ou un promis
peut-être était-il tombé malade de trop et trop fumer ou de respirer l’air pollué de la ville
peut-être fut-il tué au travail sur l’un des milliers de chantiers de démolition qui rayent de la carte de la ville au fil des mois les vestiges du Shanghai d’avant pour construire du neuf du géant et du qui rapporte de l’argent
peut-être cet homme était-il coursier fracassé sur son scooter dans la lutte quotidienne pour les yuans que se mènent sept jours sur sept les livreurs
tu ne sais mais la jeune femme oui elle n’accepte pas alors elle crie
derrière elle ceinturon de tissu blanc à la taille une femme plus âgée essuie ses larmes et parle fort la maman du défunt sans doute
entourée de quelques amis ou de voisins un petit cadeau enveloppé de rouge à la main
et puis ces roses et ces œillets sur ces hautes couronnes verticales en osier elles sentent si bon ces fleurs caressées de larges rubans blancs calligraphiés de mémoire de deuil de mots de réconfort de prières de pensées pour le disparu et pour celles qui lui survivent
soudain la jeune femme ne crie plus son chagrin montre un car stationné un peu plus loin et avance la première pour le rejoindre la photo du défunt baignée de ciel
tous y monteront et rejoindront le cimetière sous le soleil de février.

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S’il te plaît

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Ne me dis pas que ce fut un mirage non raconte-moi plutôt quels oiseaux chantaient là juste à côté de toi lorsque apparut cette merveille oui vas-y dis-moi leur plumage la taille de leur bec la grâce de leurs ailes dépeins-moi le dessin des écorces les nervures des feuilles la trame des rameaux d’où se lançaient leurs voix décris-moi s’il te plaît les secondes offertes à la peine du ciel lorsque tu pris ton envol vers là-bas.

L’été jamais ne soulage

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L’été m’a donné des ailes
me suis échappé de la mer
et suis remonté vers le nord
porté par des flots d’air brûlant

parvenu en rivage de Seine
me suis posé près de l’eau
où flottaient bateaux par centaines
tous en papier, blancs et légers

vers où voguez-vous coquilles frêles
si loin encore est l’océan
votre appel à la mémoire vive
rend hommage à tous les migrants

l’été jamais ne soulage
ni la douleur du souvenir brûlant
de ceux qui en mer disparurent
ni le deuil de tous les survivants

 

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C’était hier la Journée mondiale des réfugiés

Des heures de peu

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Des heures de peu
le corps et la pensée en errance
parmi les vestiges d’en bas
et les signes d’en haut
rien ou pas grand chose
qui puisse dissiper
cet arrière-goût d’abysses
qui rode et s’insinue profond
malgré l’éclatante beauté du ciel
rien ou si peu
qui puisse consoler
de tous ces siècles
à traverser sans toi désormais
mon Jacques

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Accueillir la pluie

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Cette pluie qui me réveille
l’accueille comme une amie
à larmes ouvertes
bénie soit sa musique

voudrais fuir le soleil
sa violence
son insistance
son indécente présence

reste encore caché
astre dont l’ombre n’épargne
ni les aimés partis
ni les inconnus
ni les exilés aux pieds nus
ni les souvenirs brûlants

pluie, surtout ne cesse
de lancer tes pleurs sur les tuiles
poursuis ta chanson de caresse
accueille la mémoire de tous ceux
qui frissonnèrent sous tes gouttes

Billie Holiday – Come Rain Or Come Shine