Jo est un autre #2

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J’ai tout de suite pensé à sauver ta peau, mon bijou.

Je t’ai enveloppé dans ta cape noire et tu es passé par dessus quai.

Puisse la houle te serrer dans ses bras et t’accompagner jusqu’à la digue du large. Cette digue qui nous est si familière.

Là-bas, tu seras peut-être à l’abri du danger.

 Personne n’imaginait que les chantiers fermeraient si vite.

Personne ne se doutait que les navires usés devraient un jour aller chercher fortune ailleurs.

(à suivre)

Le blues du traminot marseillais

Station de tram Noailles. Il est près de 23 heures. Discussion avec cet homme qui porte au visage la trace de lunettes de ski. Il est chauffeur de bus à la Régie des Transports de Marseille. Il est rentré de la montagne la veille et vient de finir sa journée. Dans 4 jours, le premier tour des élections municipales…

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Serait-ce un bon thème de campagne ?

Jo est un autre #1

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Le port était pourtant si calme ce soir.

Plus personne au pied des bateaux. Plus un docker sur les grues.

Un décor fin d’ époque.

Cinq heures que je jouais avec toi face à la mer, mon Jo.

Je ne les ai pas entendus approcher.

Ils sont revenus en traître. Dans notre dos.

Les salauds !

Lorsque je les ai aperçus, ils avaient déjà lâché leurs dobermans.

(à suivre)

Au monument Arthur Rimbaud, la mémoire fragile des Marseillais

Marseille. Plages du Prado. Une balade au soleil le long de la mer avec Noémie, ma fille aînée. En haut d’une petite butte, le monument dédié à Arthur Rimbaud, venu s’échouer à Marseille, son dernier voyage, et mourir à l’Hôpital de La Conception le 10 novembre 1891. Depuis bientôt un quart de siècle une sculpture de Jean Amado et une stèle en contrebas évoquent le poète et son Bateau ivre. Monument discret, fortin bistre penché vers la mer. Mémoire fragile. Polie comme un ancien galet. Pour combien de temps encore ?

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Les Acacias #intégral

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Je n’ai pas compris tout de suite pourquoi elle me dévisageait.

Son regard est tombé sur moi comme un souffle soudain, quelques minutes après mon arrivée.

J’ai dressé la tête et elle se tenait là, silencieuse sous le ciel lisse de Mars.

A midi tapantes, comme tous les jours, je me suis assis aux Acacias, un petit bar-restaurant tout proche, face à la mer, à un quart d’heure à pied de l’école, pas plus.

Après la classe, depuis que j’ai été nommé dans le quartier, je confie mes élèves aux cantinières et je descends vers le port.

La promenade me détend, me vide la tête. J’avance sur les trottoirs, toujours les mêmes trottoirs sur le même parcours, et je tourne la page sur les tensions de la matinée en rejoignant les quais.

Les Acacias sont orientés plein sud, juste à l’entrée du domaine maritime, au fond d’une allée empierrée de galets.

J’aime venir y manger un bout parmi les dockers et les ouvriers des chantiers. Tous ont bon appétit et parlent haut.

A les entendre, le port c’était quand même autre chose du temps de leur jeunesse. Depuis vingt ans, les bateaux se sont faits de plus en plus rares. Le travail a filé à Gênes ou Barcelone et si ça continue les métiers finiront au musée.

Ils disent aussi que leurs enfants ne croient plus à cette ville, qu’en tournant le dos à son passé elle ne leur offre plus d’avenir. Certains rêvent même de quitter Marseille.

N’empêche, moi, ce port-là je ne m’en lasse pas.

La terrasse est au calme, à l’écart de toute circulation. Elle donne sur une petite place ronde cernée de douze acacias plantés par les premiers propriétaires. Un arbre pour chaque mois de l’année. Il paraît que ça devait porter bonheur.

Aujourd’hui, pour une fois, j’ai consulté la carte.

D’ordinaire, dès que je suis attablé, le patron vient me serrer la main et me propose : bolo ou  trois fromages, Monsieur Louis ?

Pâtes ou pizza, pizza ou pâtes,  je tranche selon mon humeur.

C’est le seul moment de la journée où frémit en moi un zeste d’incertitude, d’indécision.

Sinon, tout est  réglé, calibré, préparé, minuté, cadré.

Du matin au soir.

Hormis à midi, pas de place pour la fantaisie.

Tout à l’heure donc, je me suis surpris à tenter d’improviser un repas, sans doute parce que le patron tardait un peu.

J’ai choisi sur une grosse ardoise posée contre un parasol avec des plats et des prix écrits à la craie.

Je me suis décidé pour riz-supions et puis j’ai attendu, en attrapant le journal sur la table d’à côté.

A la une, la photo d’un train de marchandises couplée à un gros titre, sur trois colonnes : “ Scènes de Far West à l’Estaque : des ados affamés attaquent un convoi ! “.

Je me suis imaginé au pied d’une locomotive à vapeur, le visage masqué d’un foulard rouge, entassant des boîtes de conserve dans un chariot de supermarché sous la protection de pistoleros en short.

Toujours pas de patron à l’horizon.

Mon ventre a commencé à gargouiller.

Une silhouette longue et haute m’a soudain distrait  de mon estomac.

J’ai dressé la tête et je l’ai aperçue. Debout face à moi, immobile et calme, les bras croisés. Elancée comme une madone moderne avec son jean et ses baskets, souriante et muette.

D’habitude, les femmes me laissent de glace.

Mon regard les traverse et va se poser au delà de la lumière qu’elles agrègent à leur odeur et à leurs gestes. Je n’accroche plus leur chroma. Les mots qu’elles prononcent se noient tout autour de moi.

Depuis que Lou s’en est allée, j’ai fermé le verrou.

Mais aujourd’hui, l’improviste a su se faufiler en douce et il a pris le dessus.

Je me suis demandé ce qu’elle faisait là, droite et paisible sous les acacias. Si je l’invitais à déjeuner ? Je n’ai pas osé. J’ai vite avalé ma question en retournant à mes nouvelles : la santé-record de la Bourse; l’expulsion d’un déserteur algérien à bord du Liberté; le triomphe de José Van Dam à l’Opéra.

J’ai fredonné Le Tilleul de Schubert et puis la douceur de Mars m’a fourré dans sa housse.

Je me suis laissé happer par sa caresse, les paupières relâchées face au soleil, concentré sur des cris minuscules encerclant les tables.

Les acacias criaient en silence comme des cigales à l’agonie.

Les épines palpitaient, les branches gémissaient, les troncs s’étouffaient, les racines tremblaient.

J’ignore pendant combien de temps je suis resté à écouter les arbres en pleurs. Malgré les conversations alentour, je n’ai pas perdu le fil de leur plainte. Je me suis demandé si les tilleuls criaient aussi.

Dans la cour de l’école, nous avons cinq tilleuls.

– La commande, c’est quand vous voulez !

J’’ai sursauté. L’inconnue ne souriait plus. Le patron s’est approché l’air agacé et lui a tendu une carafe d’eau, pour le client de la quatre.

J’ai à peine eu le temps de remarquer que la serveuse avait un oeil noir et l’autre vert.

J’ai renoncé à mon riz-supions. Trop tard.

C’était l’heure de remonter travailler.

Au port de Sausset, si près de Marseille

Mâts, drisses, ponton, bouts, voiles, coques. Ces mots marins nous ont accompagné hier sur les quais du port de plaisance de Sausset-les-Pins, sur la Côte Bleue. Invités par Annie et Jacques à bord de leur bateau, nous avons partagé une divine soupe de poissons pêchés du matin. Quarante ans qu’ils sont arrivés à Marseille. Ils ne l’ont plus quitté. Leur bateau est leur seconde maison.

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Passée la digue, à babord, Marseille.

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La route de Carry au couchant.

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Au pied des pins, la mer.

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Sous la lune, retour sur Marseille par la route côtière qui mène jusqu’à l’Estaque.

Sous le vent, le carillon de bambou

Hier-soir, le mistral s’est levé et le petit carillon de bambou s’est agité sur la terrasse. Il m’a attiré dehors alors que je commençais à chercher le sommeil. Avant de m’endormir, j’ai écrit ces quelques lignes, à retrouver par ici.

Ce matin, le mistral dort encore. Le carillon s’est tu. Il a laissé la place aux oiseaux.

 

Les Acacias #7

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J’ignore pendant combien de temps je suis resté à écouter les arbres en pleurs. Malgré les conversations alentour, je n’ai pas perdu le fil de leur plainte. Je me suis demandé si les tilleuls criaient aussi.

Dans la cour de l’école, nous avons cinq tilleuls.

– La commande, c’est quand vous voulez !

J’’ai sursauté. L’inconnue ne souriait plus. Le patron s’est approché l’air agacé et lui a tendu une carafe d’eau, pour le client de la quatre.

J’ai à peine eu le temps de remarquer que la serveuse avait un oeil noir et l’autre vert.

J’ai renoncé à mon riz-supions. Trop tard.

C’était l’heure de remonter travailler.

Les calanques d’Izzo, featuring Miles

Ce texte est un extrait* du roman Solea de Jean-Claude Izzo, le troisième de la série des aventures du flic Fabio Montale après Total Khéops et Chourmo. Je l’ai choisi car hier avec ma compagne Chantal, nous avons marché sur ces sentiers des calanques si chères à l’écrivain marseillais. Pendant plus de 4 heures 30, nous avons parcouru ce chemin exceptionnel de beauté qui mène depuis Callelongue à la calanque Podestat, au col de Cortiou, au plateau de l’Homme mort, au col de la Galinette et retour vers la calanque de la Mounine puis retour. Tout au long du parcours parfumé de pins, de romarin, de bruyère et d’iode, m’est revenu en mémoire le souvenir d’Izzo, amoureux de Marseille et de ses calanques. *Vous aurez reconnu Blue in green de Miles Davis que Jean-Claude aimait tant.

1Podestat

La calanque Podestat

2marseilleveyre

Le massif de Marseilleveyre

3plateauhommemort

Sur le plateau de l’Homme mort

4coldeCortiou

Depuis le col de Cortiou

5versredescente

La redescente vers la mer

6marseille

Marseille

7couchersoleil

L’île Maïre au couchant

Les Acacias #6

P1010770Toujours pas de patron à l’horizon.

Mon ventre a commencé à gargouiller.

Une silhouette longue et haute m’a soudain distrait de mon estomac.

J’ai dressé la tête et je l’ai aperçue. Debout face à moi, immobile et calme, les bras croisés. Élancée comme une madone moderne avec son jean et ses baskets, souriante et muette.

D’habitude, les femmes me laissent de glace.

Mon regard les traverse et va se poser au delà de la lumière qu’elles agrègent à leur odeur et à leurs gestes. Je n’accroche plus leur chroma. Les mots qu’elles prononcent se noient tout autour de moi.

Depuis que Lou s’en est allée, j’ai fermé le verrou.

Mais aujourd’hui, l’improviste a su se faufiler en douce et il a pris le dessus.

Je me suis demandé ce qu’elle faisait là, droite et paisible sous les acacias. Si je l’invitais à déjeuner ? Je n’ai pas osé.

J’ai vite avalé ma question en retournant à mes nouvelles : la santé-record de la Bourse; l’expulsion d’un déserteur algérien à bord du Liberté; le triomphe de José Van Dam à l’Opéra.

J’ai fredonné Le Tilleul de Schubert et puis la douceur de Mars m’a fourré dans sa housse.

Je me suis laissé happer par sa caresse, les paupières relâchées face au soleil, concentré sur des cris minuscules encerclant les tables.

Les acacias criaient en silence comme des cigales à l’agonie.

Les épines palpitaient, les branches gémissaient, les troncs s’étouffaient, les racines tremblaient.

(à suivre)