In Paradisu #19

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Une pause et “ Dio vi salve Regina “ résonne en écho au sommet de la cage d’escalier.

Je me signe en cadence avec le bout de la langue. Ensuite, plus rien.

Un silence mat et vide juste avant ce cri énorme scandé de plus en plus fort, en même temps que dévale l’ascenseur au-dessus de ma tête :

– Je m’appelle Sauveur Pace, fils de Joseph Pace. Je m’appelle Sauveur Pace, fils de ….

In Paradisu #18

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Une porte grince en un aller-retour rapide et terrifiant ponctué d’une brûlure aux poignets. Clic clac.

Je suis poussé puis cadenassé à un grillage qui se referme sur ma face et me serre contre un amas de câbles, de poids et de poulies.

Les mots restent murés au fond de ma gorge. Je n’ai plus la force de crier ni de prier.

J’entends des pas battre doucement et s’éloigner vers les étages.

Les souliers de Sauveur crissent sur le rebord de chaque marche.

(à suivre)

La photomaton parlant, avec J.S. Bach

Froide et triste cette voix synthétique qui nous guide pas à pas une fois assis dans le box. Je l’ai mesclée avec l’Art de la fugue de Jean-Sébastien Bach, interprétée par Glenn Gould, en imaginant qu’un jour pourquoi pas, lorsque nous irons nous faire tirer le portrait, le photomaton nous proposera d’écouter Bach, ou Chopin, ou Bob Marley, ou Pharell Williams…

Pour illustrer ce son, j’ai emprunté la photo à Valentin Gall, jeune et talentueux graphiste-illustrateur freelance.

Découvrez son blog par ici.

In Paradisu #17

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C’est la dernière image que je garde de ma Place.

Après, il n’y a que de l’obscurité d’un hall où m’entraîne le chauffeur. Je ne sais pas pourquoi je saigne du coeur des arcades. De l’intérieur de la bouche aussi. Sans douleur. Je ne capte plus rien de rien. La cornée se sauve. Les photons ignorent mes pupilles. Que j’ouvre les yeux ou ferme les paupières, aucune forme sur l’écran, là, tout au fond du crâne. Pas la moindre couleur n’est palpable. Seul, le noir se fraie sa place en douce. Il étale partout son encre sale et compacte.

(à suivre)

In Paradisu #16

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En titubant parmi les poubelles éboulées sous la neige, j’ai cherché les bateaux à travers les barreaux rouillés du domaine maritime. Il m’a semblé entrevoir là-bas de longues rayures blanches et bleues étalées de l’autre côté de la Place.

Je crois bien que des cheminées allongeaient leur palette anthracite au-dessus des bastingages. Aucun marin, aucun docker à bord de ces silhouettes de navires. Pas de passager non plus. Seulement de larges taches blanches avec un peu de bleu ajouté en frise légère au-dessus de la mer.

(à suivre)

In Paradisu #15

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Le taxi a fait le tour de la place une bonne dizaine de fois. Je me suis hasardé à comprendre pourquoi. Sans succès.

– Savoure le paysage, savoure, m’a lancé Sauveur. Le manège est bientôt terminé, alors profite.

La Mercedes s’est arrêtée au pied d’un immeuble d’angle. C’est pas très loin d’ici que je suis né. Juste en face des Docks où Ernesto touchait sa paie à la semaine et m’accompagnait le dimanche pour tester mon désir de tenir debout.

(à suivre)

In Paradisu #14

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A l’intérieur, j’ai retrouvé le chauffeur. Trahi par ses lunettes de glacier et son blouson noir.

Il m’a souri et m’a offert une Sol, puis deux, puis trois. Nous avons trinqué au retour du printemps. Je lui ai demandé son prénom en bafouillant et pourquoi tout à l’heure il m’avait laissé en plan sous la tempête.

– Je m’appelle Sauveur, il m’a répondu en faisant cliquer des menottes et un briquet sous mon gosier. Puis il m’a conduit dans sa voiture. En claquant la portière, il a dit d’une voix assurée :

– J’ai quelqu’un à te présenter.

(à suivre)

In Paradisu #13

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Terminus Quai du Port. J’ai débarqué hagard près des baraques à frites et des kiosques à journaux, en grelottant dans mon manteau vert sapin. Des rafales de folie hurlaient dans les haubans et les coques des voiliers grinçaient comme de lourds dragons empêtrés sous des tonnes de neige. J’ai accéléré le pas pour tenter de me réchauffer et j’ai filé vers la gauche.

En arrivant Place de la Consolation, je me suis écroulé sur le trottoir gelé. Les pieds en cloques et les jambes sciées. Transi d’une immense tristesse. Plus de fontaine, plus d’azalées, plus de micocouliers. Pratiquement plus aucun commerce. Seul vestige du campo de mon enfance, un bar à la devanture bleue outremer. Le Bar d’Orient. Avec un taxi stationné juste à côté. J’ai un peu hésité à entrer, puis j’ai poussé la porte presque machinalement.

(à suivre)

In Paradisu #12

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Le muret que nous escaladions après l’école malgré les tessons vert bouteille présentait des brèches béantes. Elles ouvraient sur un fouillis de tombes sales dispersées entre les cyprès. J’ai eu envie de réclamer le prochain arrêt mais je me suis souvenu que Luis ne pouvait être là car il n’avait aucune sépulture. Quelques années avant sa mort, il avait donné son corps à la science.

Passé le dernier virage avant la mer, je me suis demandé comment vivre avec les morts à jamais introuvables.

Comment leur parler, leur raconter ce qui blesse ici-bas ? Tout ce qui fait saigner sans laisser de trace sûre.

D’où guetter les mots que les disparus nous lancent paraît-il de temps à autre depuis l’au-delà ?

(à suivre)