Oh Marseille ! Enfin libérée, ne perds pas la mémoire !

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Marseille libérée, oui, après avoir été si longtemps martyrisée. Michèle Rubirola est devenue hier la première femme maire de notre ville d’amour. Alleluia ! La chute du monstre, tweetait Philippe Pujol dimanche dernier pour saluer la victoire de la gauche unie, incarnée par le Printemps Marseillais. À terre, les héritiers du vieux système gaudiniste.
Oui, conformément au choix de ses électeurs, la deuxième ville de France va enfin pouvoir commencer à changer d’ère, à s’offrir de l’air, étouffée, enkystée, emboucanée qu’elle fut depuis au moins vingt cinq ans par le clientélisme et la soumission du pouvoir municipal aux magnats du BTP et de l’immobilier.
Pour donner concrètement à Marseille le nouveau visage et le nouveau souffle auxquels aspire le peuple marseillais, il ne faudra à la nouvelle équipe ni négliger les plus délaissés de ses habitants, ceux des quartiers populaires, ni perdre la mémoire. Surtout ne pas oublier la tragédie de la Rue d’Aubagne et les huit personnes mortes dans l’effondrement de deux immeubles où ils vivaient, dans le quartier de Noailles : elles et ils se prénommaient Niassé, Julien, Simona, Ouloume, Marie-Emmanuelle, Chérif, Fabien et Taher. Le succès de Michèle Rubirola ne les ramènera hélas pas à la vie mais pourvu qu’il permette de leur rendre justice. Sans tarder. Ce n’est qu’à ce prix que la victoire historique du Printemps Marseillais sera aussi leur victoire et permettra d’enterrer définitivement le monstre.

Ma Ville Réveille-toi – Massilia Sound System

 

Farandola dei Bàris – Lo Cor de la Plana

Plus anonyme tu meurs

CielG

 

Les mots pour le dire

« Tu sais, plus anonyme on ne fait pas. Des journées, des mois, des années par dizaines que tu existes et pourtant tu n’es plus là. De ton éphémère passage ici bas, point de photo, point de murmure, point de souffle, point de sourire. Juste l’ondulation tremblée de ta peau d’ange et de tes cheveux clairs au creux de mon sang. Je n’oublie ni tes yeux éplorés ni le poids de nos larmes sèches. Je te sais depuis toujours tapi au cœur des écorces, bercé à fleur d’écume, dissous à flots de torrents, envolé à cris d’oiseaux, blotti parmi les cendres ou réfugié au cœur des nuages. Je t’y rejoindrai en silence lorsque sonnera l’heure. Plus anonyme tu meurs. »

 

 

Melody – Sheku Kanneh-Manson

Missak, mémoire rouge

MISSAK

J’ai découvert hier que c’était la Journée nationale de la Résistance. Me suis souvenu que c’est mon instituteur de père qui m’a appris à le lire ce mot. Juste avant que j’entre à la grande école, je crois bien. Écrit avec un R majuscule. Toujours. Ces dix lettres, je les avais découvertes dans l’Humanité laissée sur le rebord de la table. Imprimées peut-être à la Une. En dessous de la faucille et du marteau. Tout minot, je cherchais tout le temps des mots à déchiffrer, à reconnaître et à mémoriser. Puis à prononcer à voix haute. Pour le plaisir de les dire. Il fallait m’arrêter tellement j’étais bavard. Je fouinais dans les livres, je cherchais des mots nouveaux dans les revues et donc dans l’Huma. Résistance. Papa m’avait ensuite appris à l’écrire. Plus tard, il m’avait raconté. Il était enfant sous l’Occupation, à Marseille. Pas encore communiste. Fils d’ouvrier arrivé de Zurich dans les années 20 et pas du tout politisé. Papa avait revisité ses souvenirs. Je le réentends me dire qu’une image l’avait frappé à l’époque. Une affiche rouge collée plusieurs fois sur les murs de son quartier de Saint-Just. L’Armée du crime. Missak Manouchian. Il m’avait parlé des Résistants. Des Francs Tireurs Partisans – Main d’œuvre immigrée. Des Espagnols, des Arméniens, des Italiens, des Hongrois, des Polonais, aux côtés de Français. Il m’avait dit qu’ils étaient vingt-trois à s’être fait arrêter par les nazis, qu’ils étaient morts en héros, et qu’ils avaient refusé d’être fusillés les yeux bandés. Lui le fils d’immigré, il m’avait demandé de ne jamais oublier ce que les étrangers avaient fait pour libérer la France. Je lui avais promis que je garderais toujours en mémoire Missak et ses camarades. 

 

L’affiche rouge – Louis Aragon – Léo Ferré

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Elles se parlent encore

Maman&Simone

 

Toutes deux ne sont plus mais pourtant elles se parlent encore. Comme si ces heures à savourer les jours enfuis restaient en suspens dans le présent. Prêtes à renaître, à s’y glisser sur la pointe des pieds, d’un instant à l’autre. Lucette, ma maman et Simone son amie de jeunesse, si complices, sereines, paisibles. Quel cadeau elles me firent, ce jour de mai 2014 à Bauduen où elles se retrouvaient une ultime fois, en laissant voguer leur mémoire pour que j’en grave la trace douce. Pour l’éternité ?

Cent vingt-trois ans

Mémé

Mémé a cent vingt-trois ans aujourd’hui j’en parle au présent oui elle vit toujours Mémé même si voilà plus d’un quart de siècle qu’elle a rejoint le Paradis dont elle me racontait la beauté et la simplicité née en dix-huit cent quatre-vingt quatorze Mémé Zoé est très croyante ça l’aide à vivre sa vie depuis sa jeunesse perdre un promis parti à la Grande Guerre à vingt ans elle ne s’en est jamais remise heureusement sa foi l’accompagne tout le temps elle pleure beaucoup à la messe Mémé elle renifle en fermant les yeux et en serrant fort ses doigts quand elle récite ses prières je voudrais bien la consoler mais je n’ose pas il y a ses copines juste à côté et puis le curé est en train de parler bon Mémé elle sourit parfois quand je fais des grimaces pour la faire rire à la sortie de la messe au village et puis aussi à la maison lorsque je dis nianiourt au lieu de yaourt en l’imitant parce qu’elle ne sait pas prononcer yaourt comme il faut cette façon de se distinguer vient peut-être de l’enfance quand elle et ses camarades n’avaient pas le droit de parler provençal à l’école interdit la maîtresse se fâchait il fallait parler français sinon coups de règle sur le bout des doigts alors aujourd’hui elle résiste à sa manière nianiourt elle dit comme un pied de nez enfantin à ce passé violent le Provençal elle le parle avec son amie Clara sur le banc en face de la Poste lorsqu’elles se retrouvent l’été je les écoute c’est une langue qui chante qui sonne joli le Provençal Clara elle est devenue institutrice Mémé aurait voulu faire ce métier elle aussi mais elle a dû partir loin du village travailler aux bouchons à La Garde-Freinet juste après le certificat d’études pour aider à nourrir ses frères après la mort du père ensuite elle a fait femme de chambre bonne à tout faire à Aiguines chez des châtelains et puis droguiste à Marseille ça lui plaisait le commerce la droguerie le contact avec les clients à la retraite elle s’est beaucoup occupée de nous ses trois petits enfants succulents ses légumes farcis et sa soupe au pistou j’en garde la saveur intacte tout comme le bleu ciel de son sourire sa voix hélas non je tente de la rappeler à moi en fermant les paupières Mémé est là assise à tricoter devant moi ses lèvres bougent elle me parle de derrière ses lunettes mais je n’entends rien si seulement j’avais pensé à l’enregistrer comme pour Maman sa fille je pourrais l’écouter à volonté n’empêche je la vois très nettement souffler ses cent vingt-trois bougies et entamer sa portion de gâteau avant d’aller se poser un peu sur le fauteuil dans sa chambre lire quatre pages de son roman puis siester le visage paisible rêver peut-être à Bauduen son cher village natal et à son promis rejoint au Paradis.

Alphonse et Zoé, mémoire à voix haute

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Mémé Zoé c’était ma grand-mère maternelle haute-provençale née en 1894 qui perdit son promis à la Guerre de 14 et ne s’en remit jamais Zoé ainsi se prénomme ma fille cadette née en 2001 elle n’a pas connu son arrière grand-mère puisque décédée vingt ans avant sa naissance ai souvent parlé à Zoé comme à chacun de mes trois enfants de l’aïeule Zoé endeuillée à vingt ans leur ai offert mon dernier livre et ils connaissent d’autant mieux Alphonse Richard qu’ils portent en eux les mots par moi énoncés pour leur raconter la tragédie vécue par notre ancêtre et l’abomination de cette Grande Guerre qui il y a un siècle bouleversa la vie de toutes ces femmes dans chaque camp dont un fils un promis ou un mari ne revint jamais au pays hier dimanche 12 novembre lendemain de commémoration de l’Armistice Zoé a choisi de lire à voix haute la journée du 12 août 1914 la douzième de mon récit qui s’achève deux jours plus tard avec la mort d’Alphonse Richard cette lecture teintée de sentiments encore un cadeau de la vie qui me touche au plus profond.

Alphonse Richard renaît au pays avec des collégiens dignois

Au collège Maria Borrély de Digne-les-Bains encore un beau rendez-vous hier avec des élèves de troisième pour parler d’Alphonse Richard et de mon dernier livre à lui dédié rencontre forte et riche après celles de lundi avec des écoliers dignois et de la mi-octobre avec des élèves du Lycée français de Shanghai Campus de Shanghai forte et riche parce qu’autour de mon récit avons pu parler de la mescle entre littérature et histoire de la guerre de 14-18 de son horreur absolue de l’immense deuil dans lequel furent plongés tant de parents de femmes d’enfants de fiancées de chaque côté de la frontière forte et riche car avons évoqué le fil ténu et précieux qui relie l’histoire des individus et l’Histoire avec un grand H et comme c’était la journée des cadeaux après l’audioblog dédié à mon livre conçu par les collégiens du LFS de Shanghai et publié sur Arte Radio ai savouré cette émouvante lecture d’un extrait de mon récit signée Nina

Un grand merci à Sylvie Poirié professeur de Lettres Sylvie Deroche professeur d’Histoire-Géographie et Rémi Garcin chef du service des Archives communales de la Ville de Digne-les-Bains pour le précieux travail en commun avec les collégiens.

Le bunkœur abandonné

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Sur la plage d’en bas affalé contre les galets penché vers la mer le vieux bunker abandonné se tait raconterait quoi comme histoire si ses murs pouvaient parler peut-être dirait des mots de guerre de résistance de combats pour la liberté des paroles de deuil de souffrance de rêves vifs d’espoirs tués d’espérance violente il se tairait un peu ou longtemps peut-être puis réapparaitrait soudain sur sa peau un souffle de sourire lorsque parlerait de paix retrouvée

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là maintenant d’en haut face à la Méditerranée tu guettes le moindre signe l’aperçois te saluer en silence de son dos empesé épuisé et tu te prends à désirer le nommer bunkœur.

L’été jamais ne soulage

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L’été m’a donné des ailes
me suis échappé de la mer
et suis remonté vers le nord
porté par des flots d’air brûlant

parvenu en rivage de Seine
me suis posé près de l’eau
où flottaient bateaux par centaines
tous en papier, blancs et légers

vers où voguez-vous coquilles frêles
si loin encore est l’océan
votre appel à la mémoire vive
rend hommage à tous les migrants

l’été jamais ne soulage
ni la douleur du souvenir brûlant
de ceux qui en mer disparurent
ni le deuil de tous les survivants

 

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C’était hier la Journée mondiale des réfugiés

Parmi les disparus

Deux ans que n’avions plus VaseCommuniqué avec Marie-Noëlle Bertrand
et là, presque par surprise,
un désir commun d’échanger à partir de trois mots  :

parmi nos disparus

trois mots qui pèsent si lourd
dans le quotidien du monde

Bienvenue à son texte puissant.

Le mien est accueilli sur Éclectique et Dilettante
son blog de textes, de sons et de photos

mémoire sans lieu

disparu
mort
perdu
désavoué dans sa qualité d’être humain

disparus en mer
l’esclave enchaîné dans les cales, le marin d’ici ou d’ailleurs, le boat-people d’hier, le migrant d’aujourd’hui

disparus, avalés par Héphaïstos
l’ouvrière du textile au Bengladesh, l’enfant vietnamien ou syrien qui court sous les bombes, l’habitant d’Hiroshima ou de Tchernobyl

disparus, dévorés par Mammon
l’ouvrier licencié par Renault ou Arcelormital, le SDF sur le trottoir de Manhattan, la jeune femme abandonnée au cancer dans les usines Samsung

disparues, proies du dieu phallus
la prostituée de Ciudad Juarez, la femme de réconfort coréenne, l’épouse tuée par les coups de son conjoint

disparus, broyés par les mâchoires de Seth
le poilu dans la tranchée, le déporté à Auschwitz, le condamné au goulag sibérien, le prisonnier à Guantánamo

disparus
inconnus ou icônes
leur voix et leur cri
leur visage
dans nos vies
dans nos nuits
lieux de mémoire
mémoire sans lieu

                                      Marie-Noëlle Bertrand

Un double grand merci à elle, qui chaque mois, coordonne, accueille et met en relation les VasesCo et leurs auteurs. Échanges à suivre sur Facebook et sur Twitter.

Gratitude également à François Bon – et à son Tiers Livre – ainsi qu’ à Jérôme Denis – et son Scriptopolis – , tous deux à l’origine du projet des Vases Communicants : le premier vendredi de chaque mois, chacun écrit et publie sur le blog d’un autre de son choix, à inviter selon son envie. Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.