Face à la mer tu te prends à voguer
vers main gauche, là-bas
bien plus loin que l’Orient
à l’extrémité de la carte
sur l’île au sol tourmenté
si souvent secoué de spasmes
de vagues géantes
tu respires profond et navigues parmi les mots
inventés par feu Francis Royo
Il y a cinq ans jour pour jour, le 11 mars 2011, un tsunami déferle sur la côte nord-ouest du Japon. Parmi les villes frappés, Kamaishi, située à 208 kilomètres au nord de Fukushima et 560 kilomètres de Tokyo. Des vagues hautes de plus de 30 mètres par endroits ravagent la ville.
Les survivants pleurent plusieurs milliers de morts et de disparus.
Me suis rendu à Kamaishi en mai 2013
pendant une semaine, j’ai pu constater les traces encore vivaces de la tragédie
le port avait retrouvé un semblant de souffle
les enfants étaient retournés à l’école
les pêcheurs d’algues avaient repris leur activité
les ostréiculteurs fêtaient leur première récolte
les tulipes refleurissaient
les bougies accompagnaient le travail de deuil des survivants
Je n’oublie pas Kamaishi
Je n’oublie pas le silence en entrant dans la ville
Je n’oublie pas les immeubles massacrés
Je n’oublie pas les maisons rasées
Je n’oublie pas les voix surgies des décombres
Je n’oublie pas la rade muette au petit matin
Je n’oublie pas le port meurtri de toutes parts
Je n’oublie pas les sinistrés accueillis dans les préfabriqués
Je n’oublie pas l’autel et ses bougies au centre de secours fracassé
Je n’oublie pas les bouddhas de mémoire
Je n’oublie pas les stèles noires dressées
Je n’oublie pas les dates et les chagrins inscrits
Je n’oublie pas les larmes versées
Je n’oublie pas les larmes contenues
Je n’oublie pas les tulipes violettes près du saccage
Je n’oublie pas les traces du tsunami sur la forêt
Je n’oublie pas le temple au moine et à l’enfant
Je n’oublie pas la blanche Kanon protectrice de la ville
Je n’oublie pas le rire timide des écoliers
Je n’oublie pas le sourire retrouvé des pêcheurs d’algues
Je n’oublie pas les jardins refleuris
Je n’oublie pas le retour vers Tokyo en Shinkansen
Je n’oublie pas le survol du Fuji qui m’éloignait de Kamaishi
Vieux pont rouillé
ouvre grand tous tes yeux
au ballet de la rivière
n’en perds pas une goutte
savoure la fraîcheur qui glisse entre tes jambes
rappelle-toi comme s’agitaient tes nervures
lorsque rails te parcouraient
lorsque vapeur t’inondait
avec claquements et sifflets
n’oublie pas les bleus tachés des cheminots
souviens-toi des gamins aux casquettes
les agitaient en riant au passage des trains
laisse-toi caresser par l’eau vive
imagine les chemins qui conduisent à la mer
emprunte-les sans redouter le pointu des galets
ne crains pas les goulets
ne tremble pas dans les tourbillons
lance-toi vers l’aval
offre-toi aux descentes
arrime-toi aux couleurs de la rive
ose t’abandonner aux senteurs du large
Parfois couché avec les poules
parfois agité par la lune
parfois entouré d’obscur
parfois posé parmi les feuilles
parfois sec comme une brindille
parfois collé au mur
parfois surpris par le vertige
parfois muet devant la page
parfois emporté par la rage
parfois muré dans le silence
parfois bercé par un refrain
parfois repris par le sommeil
parfois ballotté par les vagues
parfois saoul de mistral
parfois rapté par les embruns
parfois levé de bonne heure
souvent las de ma lassitude.
Fermer les yeux et imaginer les tempêtes d’antan. Les navires en partance malgré le mauvais temps. Imaginer le courage et la folie des marins. Des gardiens de phare. Rouvrir les yeux et revisser son bonnet sous les rafales. Savourer cette Bretagne du bout de la terre.
S’avancer jusqu’au bout
Racler semelle
S’aventurer
Oser le face à face
Terre salée
Écume folle accrochée
Rochers offerts
Paquets de mer
Tournoient les rafales
Granit foncé
S’échouent les peuples de vagues
Courants, oh ces courants !
Rasades d’embruns sur les balises
À chaque coup de vent deviner l’errance
La perdition
Grelotter
Imaginer les naufrages
Malgré le phare du Four, juste là
À portée de doigts
Imaginer le chagrin des orphelins
Le désespoir des mères
La colère des marins
Le désir des marins
L’avenir des marins.
Parti pour le grand large hier. Dans ma tête. Sous le vacarmes des trombes d’eau qui traversaient le paysage. Ai navigué vers le Nord. Cap sur la Norvège où j’ai caboté en longeant des phares et leurs cornes de brume. Odderøya, Store Torungen, Oksøy. Rien que ces noms racontent la rudesse de ce son précieux pour les marins d’autrefois. Un son que j’imagine lancé par de gigantesques gosiers d’animaux marins. Un son témoin du temps où les phares vibraient encore de paroles humaines. Pour prolonger cette écoute, une visite s’impose au site Cornes de brume. Renseignement pris, dès que les cornes de brume tombent en panne, elles ne sont plus réparées. Elles disparaîssent peu à peu du paysage sonore. Dans le nord Finistère, il ne reste que celle du Créac’h en activité, d’où l’utilité du recensement mis en chantier par le site Cornes de brume, à suivre aussi sur Twitter @kupaia
De retour à Marseille. Ferme les yeux et me retrouve assis en dessous du Fort Saint-Jean, sur les bancs de pierre du passage Brauquié qui relie le MUcem au Vieux-Port, là où le crépuscule s’installe parmi les bateaux qui rentrent, les joggeurs et les musiciens qui tapent le boeuf de l’autre côté.