De retour sur des feuilles volantes #1 Celui que j’ai vu

Maman écrivait, oui. Au crayon noir, au stylo bille, à la main la plupart du temps. Elle aimait lire mes histoires – je les lui envoyais régulièrement par mail pour savoir si elles les jugeait dignes d’intérêt – et elle appréciait d’inventer les siennes par écrit. Maman fréquenta même pendant des années des ateliers d’écriture – à Marseille et à Bauduen – à soixante-dix ans bien sonnés. Poèmes, haikus, textes courts, histoires cocasses, rêveries surréalistes, récits teintés de souffrance, pieds de nez à la mort, elle se lançait avec désir sur de multiples pistes. Elle prenait plaisir à créer des situations et des ambiances. Elle consignait aussi des citations. Maman n’écrivait pas dans des carnets, non. Rien que sur des feuilles volantes au format imprimante ou feuilles volées, arrachées à des cahiers d’écolier. En mettant un semblant d’ordre dans les rayons de ma bibliothèque cette semaine, j’ai retrouvé trois pochettes avec dedans des enveloppes plastifiées garnies des écrits de Maman. J’ai tout lu, le cœur battant, et je me suis souvenu que sa calligraphie aussi était jolie. Serait-elle heureuse de découvrir que je vais publier quelques-uns de ses écrits dans ce carnet-ci ? Je crois bien que oui. C’est ce qu’il m’a semblé qu’elle me glissait à l’oreille l’autre nuit, lorsque nous avons bavardé un petit moment en souriant et rêvant ensemble comme au bon vieux temps.

Celui que j’ai vu

Ce matin-là en ouvrant tout grand les doubles volets du séjour, grimpait prestement le long du sapin enneigé : je l’ai suivi des yeux sauter de branche en branche jusqu’à la cime ; des copeaux de neige tombaient lourdement à son passage et s’écrasaient sur le sol. Quand il a disparu j’ai regretté de l’avoir dérangé ; il devait avoir repéré quelque graine sous l’arbre, autour du tronc encore herbu ; il s’y était précipité peut-être pour les emporter dans un coin de son nid ; je ne savais pas à quelle période les écureuils ont des bébés et la tristesse s’est mêlée au plaisir du spectacle. C’était le jour de Noël et je n’avais encore jamais vu la neige. Des écureuils, j’avais l’habitude d’en voir ; ils avaient même l’audace de laisser tomber des coquilles de noisettes sur nos têtes ; c’était à la fin de l’été, quand ma mère et moi tricotions assises dans cette allée de noisetiers si ombragée. J’ai refermé la fenêtre, me suis cachée derrière les rideaux et attendu longtemps, espérant le voir redescendre accomplir son précieux travail. Ce matin-là il n’est pas revenu…

Lucette

Maman aurait sans doute souri devant cette image conçue par l’artefact génératif DALL-E. Jusqu’à la fin de ses jours, elle se plut à naviguer sur la toile depuis son ordi. Je suis sûr qu’elle se serait bien amusée elle aussi à bidouiller pour créer des images virtuelles.

(à bientôt !)

Trois fois clic clac et puis revient (14) Retour de flamme…

De l’aube claire jusqu’au crépuscule, les heures filent leur laine de silence. Dedans, le feu et son murmure. Comme un retour au monde d’avant. Le feu vit sa vie de feu et ça console un peu du morne automne. Dehors, la ville apprend à se taire. Tant de rideaux baissés. Tant de volets clos. Et ces pas furtifs croisés sur les trottoirs humides où se faufilent des silhouettes masquées. Demain, une aube claire encore, et des heures à espérer un grand retour de flamme.

Concerto pour violoncelle d’Elgar (1er mouvement) – Jacqueline Du Pré (violoncelle) avec l’Orchestre Philharmonique de Londres, dirigé par Daniel Barenboïm

Contribution #12 J’accueille aujourd’hui les photos et les mots de Zoé. Mille mercis.

Sortie de nuit, temps suspendu
Plus personne dans les rues
Je suis seule et il est tard
Je n’entends rien, ne vois personne
Toute la ville s’est teintée de violet
Ma couleur préférée
Je me balade dans les rues
Bercée par Apocalypse de Cigarettes After Sex
Un brin mélancolique
Perdue dans mes pensées
Je passe près de cette vitrine
Des nains colorés me font un doigt d’honneur
Un sourire, une photo et me voilà repartie
Stranger In the Night de Sinatra dans mes oreilles
Je ne suis plus seule dans la ville.

Stranger in the night – Frank Sinatra

(À demain, 8h30…)

Honte, colère, compassion et poésie

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L’Afrique m’accompagne souvent ces temps-ci. Avec ses calvaires essaimés à longueur de siècles, je navigue à ses côtés depuis les rivages de Gorée jusqu’aux ports esclavagistes, vers les sinistres rivages de l’homme blanc. Série en cours. Insupportable. J’ai suivi par séquences les marches pour la justice. En Amérique et dans notre vieille Europe. George Floyd, Adama Traoré, et tant d’autres… Je n’oublie pas Zineb Redouane. J’ai regardé par bribes – en me forçant beaucoup parce que la télé et la radio filmée, c’est de plus en plus insupportable – ces débats autour du racisme et de ses ravages, entre autres au sein de la police. J’ai observé le visage de Rokhaya Diallo, oh combien digne et patiente et lumineuse face à la face grise de ses contradicteurs, ceux qui éditorialisent faute d’aller sur le terrain et qui ne disent pas qu’ils le sont, racistes. Ils ne peuvent pas, ils n’osent pas, mais ils baissent les yeux, ils s’empêtrent dans leurs tirades empreintes de mauvaise foi, en niant ce qui pourtant est patent : dans notre douce France, devant notre police ou dans un bureau d’embauche, mieux vaut afficher du blanc sur le visage que du noir ou du beige ou du jaune. Depuis l’enfance, jamais ouvert la porte à une once de ce que recouvre ce mot, racisme, sa laideur, son insupportable faciès. Mes parents m’ont appris la beauté de toutes les teintes de peau de nous autres humains. Que chacune se vaut et se respecte. Que le même sang tout rouge coule dedans nos veines. Qu’il n’existe qu’une seule race, la race humaine. L’ai transmise à mes enfants, cette exigence de vérité. De mes parents je tiens aussi la conscience de ce que fut l’esclavagisme et le colonialisme. De ce qui continue à nous empoisonner la vie. Des énièmes injustices qui viennent rebondir de colère dans les rues d’Amérique comme de chez nous, et qui nourrissent les cortèges d’aujourd’hui, je perçois toute la violence infligée aux victimes et à leurs familles qui réclament justice et la fin de l’impunité. C’est une vive douleur. Il me faut alors dire ma honte d’homme blanc, ma colère et ma compassion. * Marcher avec elles et avec eux par la pensée et repartir vers le continent noir, vers le Sénégal aimé, puis vers le Cameroun où écrit Serge Marcel Roche. Là-bas, je me plonge à nouveau dans les couleurs de sa poésie mélancolique. Je file à Yaoundé retrouver Éros Sambóko et lui parler à voix haute à travers les mots de son créateur. Des mots de fraternité.

 

Les mots pour le dire

« L’ampoule à blanc est le soleil d’une géographie du sang, bien que l’on voit à peine les rivières bleues d’opale courir sous la peau des cuisses. Je regarde au plafond les taches qui sont des îles. Le matin, lui, s’allonge contre moi, pas l’autre et ses abois de chiens, un qui sait unir la fraîcheur du citron et l’odeur des aisselles. Le tronc violet du bougainvillée, ses ramures pépiantes, avec les spasmes d’un sommeil léger. Donc aussi contre lui je pense que ce qui je est en ailleurs de la toute-puissance du monde. J’entends son bruit, jusque dans l’ordinaire des voix, la sale rumeur de l’ordre, mais je ne suis pas là. Les taches qui sont des Îles. Serge Marcel Roche. »

*Pour prolonger, regards croisés d’Angela Davis et d’Assa Traoré, dans la belle revue Ballast.

Photo @SergeMarcelRoche

Si tu rêves de silence…

canisses

Si tu entends la mer au-delà, franchis la frontière. Si tu oublies son parfum, recrée-le. Si tu crois qu’elle n’existe plus, invente-la. Si tu te souviens des obstacles, avance. Si tu sais le chemin, ne fais pas demi-tour. Si tu n’y parviens pas, regarde plus haut. Si tu remercies le ciel, n’oublie pas la terre. Si tu as peur du vide, écoute les oiseaux. Si tu désires la paix, accueille la. Si tu rêves de silence, offre le.

 

Le chant des oiseaux – Camille Thomas

Toujours à fleur de peau

peau

C’est parti hier-matin au petit déjeuner, avec ce qui ressemblait à un jeu d’écriture. Une invitation sur Twitter à raconter sa propre peau. En ajoutant le mot-clic #infraperec Clin d’œil-hommage à Georges Perec, auteur de L’infra-ordinaire et qui écrivait ceci à propos de son livre : « Les journaux parlent de tout, sauf du journalier. Les journaux m’ennuient, ils ne m’apprennent rien. […] Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est-il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire ? […] »

Gorgées de thé. Petite fraîcheur dans la salle à manger. De ma peau, ne voyais que celle de mes mains et de mes avant-bras. L’ai interrogée. – Vas-y, elle m’a répondu. Raconte-moi ! Alors j’ai écrit ceci : Ma peau se sent bien dans sa peau. Hâlée aux gambettes et aux bras, plus claire ailleurs, elle est un recueil de mémoire et d’enchantements, aux avant-bras; à l’encre de Chine. Ailleurs, ma peau est frileuse et commence à se distendre, à frisoter. Le souffle des ans.

La journée a avancé et m’est venu le désir d’écrire la liste des phrases qui viennent, comme ça, à partir et autour des quatre lettres de peau. En imaginer d’autres aussi. Histoire de poursuivre le jeu. Avec comme seule « contrainte » utiliser ces quatre lettres p. e. a. u. Et pourquoi pas y ajouter le x pour quelques pluriels.

 

Les mots pour le dire

« J’aime écrire des peauaimes. Les peaux mortes vivent longtemps. Nous chantions Armstrong je ne suis pas noir, je suis blanc de peau. De toutes façons, lui, il est toujours à fleur de peau. Notre professeur d’histoire nous raconta l’extermination des Peaux Rouges. Dans la cour de l’école, nous disions il a la peau lisse au cul et nous rigolions. Arrête un peu avec tes blagues de peau tâche. Je me souviens de mes pantalons en peau de pêche. Touche pas à mon peaute ! Raciste, la peaulice ? C’est plus que peaux cibles. Impeaurtant de ne pas l’oublier. À l’impeaussible nul n’est tenu. J’ai déniché le peau aux roses. Au pied de la maison il y a plein de peaux de fleurs. Mémé collectionnait les peaux de nianiourt. Elle faisait de la soupe de peautiron. Y trempions du pain d’épeautre. Peau d’âne, un livre lu il y a si longtemps. Les oiseaux qui ont du peau échappent aux à peaux. Ce qui les posent sont des peauvres types. Dis-moi, il est long, le fleuve Peautomaque ? Et le Peau, son copain italien ? Boycottons Zemmour, Onfray, Buisson, Brunet, ces insuppeaurtables impeausteurs. Sipouplé si tié pas joli reste peauli. Ah oui, je fus quelques années durant exonéré d’impeaux. Le mot apeaustasie n’est pas joli joli. Saurais-tu nommer les douze apeautres ? Mon ami Pierrot, ouvre-moi la peaurte. Au Stade, nous aimons chanter peau peau lo peau peau peau peau ! Parfois, nous chantons Beth cèu de Peau. Toujours le rythme dans la peau. J’aimerais bien un jour aller au Peaurtugal. La galinette m’a peausé un lapin. Peauvre de moi, synonyme de peuchère. Quelle épeauque épique ! Tu y crois, toi, à la peaussibilité d’un Paradis. Peaurque no ? »

Laisse passer la paix

blés

Frontière de lumière. Ouvre-la. Ne laisse pas l’issue absente. Caresse l’or offert. Conserve en ta mémoire la fragilité de la semence. Mesure le temps nécessaire à la pousse. Bénis la sueur. Chéris le fruit. Contemple l’œuvre. Bannis le saccage. Frontière de lumière, laisse passer la paix.

 

Hallelujah – Sheku Kanneh-Mason – Leonard Cohen

 

Cueille le jour présent…

fleurs

Elle m’est venue d’un coup cette envie d’alexandrins. Ce désir de douze pieds répétés, il a surgi à l’intérieur de ma bouche, juste au-dessus du cœur, là où naissent mes élans d’écriture. Oui, à l’intérieur de la bouche ce fut, alors que je contemplais les fleurs. Comme un suc qui affleurait en douceur. Il faisait bon. Le matin s’installait. J’avais rêvé d’oiseaux migrateurs, comme souvent. Les six premiers mots se sont mis à tourner en boucle. Et puis j’ai accompagné les mots qui venaient en comptant sur mes doigts. Éphémère et humble cueillette…

Juste des larmes de pluie tiède et l’écho tu
Des heures de semailles au calme de la rue
J’observe tes mains brunes et tes ongles danser
Nous fredonnons le chant des malheurs envolés
Tu bénis dans la joie la naissance des fleurs
Il n’y aurait ni Dieu, ni miracle, ni peur
Nous sommes étonnés, en paix, les corps légers
Nous partageons l’instant et rien d’autre à pleurer.

 

Vie d’Éros Sambóko (2) (Lecture à voix haute)

sergemarcel4J’aime la poésie de Serge Marcel Roche, la douleur, la mélancolie qu’elle exprime, depuis l’Afrique noire où il demeure. Le rythme et la couleur de ses phrases m’entraînent là-bas. J’y reste longuement et je récite ces mots dans ma tête, puis à voix basse. Récemment, je me suis pris d’affection pour Éros Sambóko, un personnage imaginaire qui vit en milieu urbain, celui de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Serge Marcel Roche connait un peu cette grande ville mais il n’y vit pas.

Pas la première fois que je me prends à dire ses textes à voix haute et à les partager.

 

Ressemble à la mer pas vue

 

Retrouvez Serge Marcel Roche ici