Classe de quatrième. Je me souviens de la Complainte de Rutebeuf récitée par mon professeur de Français. Elle tenait en main un livre à la couverture décorée d’enluminures. Poèmes de l’infortune. Du rouge et de l’or. Merveilleux. Le Moyen-Âge nous disait-elle. Je répétais dans ma tête « Le Moyen-Âge ». « Ils ont été trop clairsemés / Je crois le vent les a ôtés / L’amour est morte »… Complainte mélancolique. La poésie de Rutebeuf rapprochait ce temps reculé. Me le rendait tellement actuel. Du coup, il me semblait familier. Nous étions en 1968. J’entrais dans l’adolescence. Mis à part l’Allemand, la poésie c’était ce que je préférais étudier. Pauvre Rutebeuf est sans doute le poème du Moyen-Âge dont je garde le souvenir le plus vivace. À l’époque, je savais le réciter par coeur.
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Ce sont amis que vent me porte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Avec le temps qu’arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n’aille à terre
Avec pauvreté qui m’atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d’hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m’était à venir
M’est advenu
Pauvre sens et pauvre mémoire
M’a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m’évente
L’amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
L’interprétation de Joan Baez m’a toujours bouleversé. Aujourd’hui encore, elle me déchire le coeur.
http://youtu.be/Tte6cqTzz9U