Si tôt de retour –
comme ivres de fatigue,
les grues sauvages.
Tissue N7, Philippe Glass, par Camille Thomas au violoncelle
Récits, lectures à voix haute, nouvelles, photos, vidéos et autres curiosités
Si tôt de retour –
comme ivres de fatigue,
les grues sauvages.
C’est l’heure de la promenade l’heure de colorer le jour qui baisse et teinte de gris sale les murs et les façades de la vieille cité
c’est l’heure de fendre le froid de l’air qui enserre les mains et les visages
l’heure de lâcher un instant les mamans à la tâche depuis l’aube les laisser respirer se retrouver se raconter leur journée tandis que les papas restés au chaud jouent au go ou aux cartes et fument en parlant fort
c’est l’heure de tenter une course fragile de tapoter le sol de ses petits pieds roses et d’imaginer le printemps
c’est l’heure de la promesse de jours débarrassés de la laideur et de la violence du monde
c’est l’heure de l’apparition
la saisir comme on accueille un oiseau de passage
en douceur
et le laisser s’envoler comme une précieuse seconde arrachée au cadran rouillé de l’éternité.
Bientôt l‘offrande juteuse –
pour l’heure,
le pêcher savoure
Dans la chaleur de mars
lavent et frottent les marches
du Palais géant
Séville
déjà le printemps ici
Séville et ses pavés poudrés
d’ocre et de bistre
ses orangers offerts aux oiseaux
cette lumière teintée d’or et de blanc
aux murailles maures et aux façades des maisons
Séville
ses Gitans cochers
ses guitaristes en liberté
et ses femmes de ménage
écrasées de chaleur
solidaires et bavardes
aux marches du Palais
de la Plaza de España
Comme un semblant de printemps
douceur sous les arbres
premières fleurs
timides
poussant leur soif de lumière
hors des feuilles mortes
et puis le retour du merle
presque en boucle, le copain
aurais bien sifflé comme le faisait Jacques
pour dialoguer un peu sous le soleil
mais le merle s’est enfui
quand me suis approché du chêne
reviendrai un de ces quatre
avant l’arrivée du printemps
c’est promis
Premier vendredi du mois rime parfois pour moi avec VaseCommunicant. À l’initiative de François Bon et de Jérôme Denis, qui le désire se choisit un(e) partenaire et chacun(e) publie sur le blog (ou le site) de l’autre. Ce mois-ci, c’est avec Marie-Noëlle Bertrand * que j’échange. Elle a écrit 8 haikus, à découvrir sur carnetdemarseille.com. Mon poème a trouvé place sur son blog la dilettante. Voici la lecture à voix haute de ce VaseCo inspiré par 4 mots : En attendant le printemps.
Marie-Noëlle Bertrand est aussi sur Twitter @eclectante
Ne pas se fier aux apparences. L’hiver aux trousses, continuons d’avoir. Les aborigènes humiliés. Erri de Luca hospitalisé. Les baleines massacrées. Chez nous, le bleu foncé et le brun en avancée. D’où qu’elles viennent, les nouvelles nous racontent un hiver qui se prolonge. Ces oiseaux et ce piano, ce serait comme pour croiser les doigts. Comme pour nourrir la petite flamme de l’espoir. En récitant ce haiku de Yosa Buson :
Rien d’autre aujourd’hui
que d’aller dans le printemps
rien de plus.
Le morceau de piano qui accompagne les oiseaux est l’œuvre de la pianiste japonaise Yuki Murata, membre du groupe Anoice.
De l’eau à profusion. Jaillissement brut sur les pierres. Les oiseaux n’osent approcher. La neige décore encore les branches. Guetter la délivrance. Patienter en relisant les haikus des grands maîtres.
« Dans la vieille mare
a coulé une sandale
tombe la neige fondue. »
Buson
« Si tienne est la neige
tu penses, légère elle sera
sur ton chapeau. »
Kikaku
Elles sont passées sans prévenir
Bien au-dessus des toits
Calligraphie tremblante
Hésitante et pourtant
Points de suspension lancés dans le ciel bas
Comme un essaim éclaté
Une noria de nuages éparpillés au vent
Une flotte de barques accrochées à leur cap antique
De retour de pays plus chauds.
Mentons tendus vers ce large V gris foncé
Nous avons écouté les grues chanter.
Se rapprocher du printemps.
Il met des mots là où je n’y parviens pas. Je reste sans voix face à ce regard aigu posé sur le temps qui file. Sur le décor et les humains qui défilent dans la ville. Sa ville. Ma ville. Marseille. Notre ville. Lire et relire Arnaud Maisetti et puis se lancer à voix haute. Oser. Penser aux êtres chers. Convoquer le printemps. Se languir des journées interminables de l’été. Rêver d’île blanche. De chaleur. Sur la plage et dans le cœur des humains qui résistent. Pour prolonger cette lecture, se rendre sur les carnets d’Arnaud Maisetti.
Mes volets ne sont pas restés longtemps fermés…
Pas pu résister à l’appel du printemps
Je gravis la pente du printemps
pour y déposer
mes ex-voto d’amour
Mayuzumi Madoka
Même derrière les barreaux
on peut souffler
des bulles de savon
Hirahata Seitô
Le redoux est là, annonciateur du printemps. Libérés du poids et du froid de la neige qui les recouvrait il y a 8 jours à peine, les sentiers jonchés de feuilles de chêne accueillent à nouveau les pas des promeneurs.
Il était une feuille
Il était une feuille avec ses lignes
Ligne de vie
Ligne de chance
Ligne de coeur
Il était une branche au bout de la feuille
Ligne fourchue signe de vie
Signe de chance
Signe de coeur
Il était un arbre au bout de la branche
Un arbre digne de vie
Digne de chance
Digne de coeur
Coeur gravé, percé, transpercé,
Un arbre que nul jamais ne vit.
Il était des racines au bout de l’arbre
Racines vignes de vie
Vignes de chance
Vignes de coeur
Au bout des racines il était la terre
La terre tout court
La terre toute ronde
La terre toute seule au travers du ciel
La terre.
Robert Desnos ( 1900 – 1945 )
C’est un ruisseau près de chez moi, qui parle de fonte des neiges. Il déboule dans un petit vallon encore pris de givre et de froidure. Ce ruisseau se fait entendre et nous sentons que le redoux est là. Enfin presque là. Dans la campagne de Haute Provence encore teintée de blanc, la lumière se fait un peu plus vive chaque jour et annonce timidement que dans un mois, le printemps aura sonné à notre porte. D’ici là, les oiseaux effarés auront pris des forces, heureux comme tout de saluer l’envol du vilain hiver…
Le Ruisseau
Beaucoup d’eau a passé sous le pont
et aussi énormément de sang
Mais aux pieds de l’amour
coule un grand ruisseau blanc
Et dans les jardins de la lune
où tous les jours c’est ta fête
ce ruisseau chante en dormant
Et cette lune c’est ma tête
où tourne un grand soleil bleu
Et ce soleil c’est tes yeux
Jacques Prévert ( 1900 – 1977 )