La ligne rouge #5

Lalignerouge

C’est vrai que je suis un para et que je ne crains personne.

Il pouvait compter sur moi lorsque nous arrivions quelque part et que ça brassait sévère aux abords des salles de meetings.

Il était attendu. Banderoles, affichettes et slogans y’avait :

« Le fascisme ne passera pas ! » je lisais.

Comprenais pas bien.

Connaissais pas le fascisme.

Jamais trop été à l’école, moi.

Je le protégeais, lui traçais sa route jusqu’à l’entrée et surveillais les allées et venues dans la salle, le calibre en veille dans son étui, là, côté cœur.

(à suivre)

La ligne rouge #4

Lalignerouge

Chauffeur je fis aussi.

La grosse Mercos, ça se conduit tranquille.

Lui derrière à passer ses coups de fils. T

oujours le costard impeccable, la cravate qui va bien, la pochette au revers assortie.

Une forme d’élégance qui jurait dès qu’il ouvrait la bouche et que pleuvaient les insultes au téléphone.

Lui derrière à engueuler le monde entier.

Moi devant à le mener à ses réunions, ses meetings, ses rendez-vous d’affaires.

Lui derrière à baver ses « bougnoules, négros, citrons, youpins, etc… »

S’excusait à peine ensuite, mais un peu quand même.

–      Toi, tu n’es pas pareil. Tu es fort. Tu es un soldat, il me disait.

(à suivre)

La ligne rouge #3

Lalignerouge

Ensuite, j’étais parti du régiment à ses côtés.

Avions marché au pas je crois en avançant vers sa voiture.

Lui, fredonnait un chant militaire.

« Contre les Viets, contre l’ennemi

Partout où le devoir fait signe

Soldats de France, soldats du pays

Nous remonterons vers les lignes »

 Je me souviens. Il m’avait d’entrée glissé quelques gros billets dans les poings et montré ma chambre.

Une piaule à l’étage de sa propriété aux murs blancs gardés par des chiens aussi baveux que gros.

Leur ressemblait un peu je trouve.

–      Tu dormiras là. Je te sonnerai. Tiens-toi toujours prêt. Je voyage beaucoup. Tu m’accompagneras partout. Je suppose que tu sais conduire ?

(à suivre)

Lalignerouge

J’avais fait l’affaire. Ça n’avait pas traîné.

Choisi surtout parce que ma peau est très foncée.

–      Ça clouera le bec à tous ceux qui me traitent de raciste, il avait lâché devant le colonel. Sans même me regarder dans les yeux.

J’avais dit oui parce que j’aime les défis.

Fils de Tirailleur algérien je suis. Mon père libéra Marseille aux côtés des Tabors marocains.

L’assaut à Notre-Dame de la Garde en août 44, il en fut.

Patriote il s’était dit. Ça m’avait bien plu.

J’aime ma patrie moi aussi. L’avais salué au garde-à-vous.

(à suivre)

 

 « La ligne rouge » est une fiction.

Toute ressemblance avec des personnes publiques ayant tenu des propos scandaleux dans la vraie vie n’est que pure coïncidence.

Ce texte a été publié pour la première fois dans le numéro 9 de la revue digitale La Nuit.

Que ses créateurs en soient ici une nouvelle fois remerciés.

Je vous invite vivement à vous abonner à La Nuit.

C’est très simple et cela coûte une euro par semaine. Pas plus. 

La ligne rouge #2

Lalignerouge

J’avais fait l’affaire. Ça n’avait pas traîné.

Choisi surtout parce que ma peau est très foncée.

–      Ça clouera le bec à tous ceux qui me traitent de raciste, il avait lâché devant le colonel. Sans même me regarder dans les yeux.

J’avais dit oui parce que j’aime les défis.

Fils de Tirailleur algérien je suis. Mon père libéra Marseille aux côtés des Tabors marocains.

L’assaut à Notre-Dame de la Garde en août 44, il en fut.

Patriote il s’était dit. Ça m’avait bien plu.

J’aime ma patrie moi aussi. L’avais salué au garde-à-vous.

(à suivre)

 

 « La ligne rouge » est une fiction.

Toute ressemblance avec des personnes publiques ayant tenu des propos scandaleux dans la vraie vie n’est que pure coïncidence.

Ce texte a été publié pour la première fois dans le numéro 9 de la revue digitale La Nuit.

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La ligne rouge #1

Lalignerouge

Ils viennent de me passer les menottes. Je grimace à l’intérieur des lèvres.

À peine mal mais je grimace de cette douleur sourde qui affleure depuis si longtemps à chacun de ses mots barbares.

Elle se taira maintenant cette douleur. Car il ne parlera plus jamais.

Garde du corps je fus de cet homme-là pendant quinze ans.

Recruté à ma sortie du régiment de paras. Il était venu faire son marché in situ dans la cour de la caserne.

Connaissait bien l’endroit car il avait été para lui aussi. L’Indo. L’Algérie.

–      Cherche un gars baraqué et courageux, un gars qui en a dans le pantalon, il avait dit en riant de sa bouche humide et ridée.

(à suivre)

 

 « La ligne rouge » est une fiction.

Toute ressemblance avec des personnes publiques ayant tenu des propos scandaleux dans la vraie vie n’est que pure coïncidence.

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Carnet d’Afrique #6

femmes

Rares. Les Blancs se font rares.
Quelques Toubabs ventrus traînent leurs rides et leurs 4X4 en direction des serveuses aux tresses brillantes. Les yeux accrochés aux doigts sarments des demoiselles. Osent à peine deviner leurs dents du bonheur au creux de leurs lèvres divines. Il faudrait se taire. Surtout ne rien dire qui vienne gâcher ces secondes de grâce fugace. Mais ils ne savent goûter ce suc. Ignorent le sel du silence. Murmurent un vague compliment sur le tissu de leurs boubous. Aucun regard en échange. À peine un merci susurré sans sourire. Les boissons servies, elles s’échappent d’un pas souple vers la caisse où tinte le petit bruit sec et maigre du franc CFA.
Leur richesse à partager avec qui saura approcher la vive et fière douceur de leur âme.

(à suivre)

Carnet d’Afrique #4

troisfemmes

 

À présent passent trois jeunes femmes en file indienne.
Chaloupent le long de la plage abîmée. Traces vivaces des tempêtes de mars. Coiffées de larges plateaux gris, elles se taisent sous le poids des feuilles de menthe. Avancent sur le chemin défoncé vers les paillotes désertes. Qui leur donnera quelques billets pour quelques fruits ? Peut-être les dégusteront-elles si le client s’obstine à se cacher loin d’ici. Croisent de vieux messieurs à sandalettes translucides. Semblent égarés dans leurs souvenirs. Barbiches blanches et chemises constellées de sueur sèche. Ne se retournent pas sur le passage des porteuses aux seins et aux reins qui dansent. Indifférents à leurs fesses bombées comme des djembés de musiciennes.

(à suivre)

Carnet d’Afrique #3

foot

Plus tard, l’océan lui tend la main.
Les garçons courent en groupe. Ils avancent à larges foulées au pied des palmiers. Lorsqu’ils s’arrêtent, tractions de jambes et de bras pour se muscler. Peu se lancent dans l’eau. La mer déroule sa robe bleue argent sans insister. S’exercent à la lutte. Colosses ou sauterelles. Tous, le corps doré de poussière de sable. Gri-gris à la taille ou au bras.
Le costume partagé c’est le maillot de foot. Entre les épaules, des noms de joueurs de rêve gravés sur les tissus souvent délavés et troués. Parfois, les shorts vont de paire. Ces parties de ballon sans cages ! Joyeuses et accrochées. Les jeunes jonglent, dribblent et dansent le beau jeu. Marquent peu. Savent-ils que le mirage du foot des riches leur restera mirage ? À moins d’un miracle.

(à suivre)

Carnet d’Afrique #2

P1020081

Il croise dès l’aube les enfants en guenilles.
Longent les baraques cousues de fer blanc. Mendient aux abords des échoppes où s’achète le pain quotidien, le lait en poudre et les bidons d’eau en plastique. Essaims de gamins faméliques. Épuisés. Escouades ensommeillées. Vidées. Des bras et des jambes secs et maigres comme des branchages rescapés du feu. Pleurs séchés au coin des paupières. Morve en filet sous les narines. À chacun sa cuvette en plastique jaune. Ne tinte que de quelques morceaux de sucre lancés par une femme en boubou bouton d’or et turban bleu outremer. Son fils à elle part à l’école en uniforme bleu ciel dans un bus blanc sans équivoque. « Dieu seul ». C’est écrit sur le flanc. Oui, Dieu bien seul face aux petits talibés qui se dispersent comme une volée d’insectes. Le regard de certains teinté de honte. Quelques visages masqués par la cuvette ou un coin de haillon.

(à suivre)

Carnet d’Afrique #1

Afrique1

 

La tiédeur poivrée le cueille en douceur au creux des narines.
S’en envelopper et avancer vers dehors. Retrouver l’Afrique dans l’attente. Immobile. Frissonnante pourtant. Revoir les éclopés affamés de pièces. Frôler les porte-faix aux aguets. Longer les voitures en vrac prêtes à filer sous les maigres étoiles. Les camions essoufflés et leurs chauffeurs électriques au seuil d’une nuit blanche. Les taxis-brousse hérissés de bidons, de cartons et de bagages ficelés au-dessus d’inscriptions dévotes. Les photos de marabouts scotchées aux vitres et aux pare-brise. Vénérés comme guides en médaillon et en affiches tutélaires. Ils protègent. C’est écrit dessus. Leurs turbans décolorés, pourtant. Leurs visages luisants. Leurs joues rondes impassibles. Cerclées de barbe bleue passée. Quel contraste avec les faces émaciées de ceux qui se compressent vers la portière. S’entassent derrière. Au volant, le conducteur porte un bonnet de laine écrue bistre. Trois cahots d’épaisse fumée et c’est le départ. S’engouffrer dans le noir vers le sud qui nous happe.

(à suivre)