Livres de ma vie / Haiku. Issa #3

Les cerisiers en fleurs. Ils inspirent les poètes japonais depuis des siècles. Leur floraison ne dure que quelques jours. Peut-être est-ce là que réside la source de l’adoration que vouent les Japonais à ces arbres magiques. Issa leur a dédié de nombreux haïkus. En voici quatre. Empreints d’un souffle qui tutoie l’universel.

 

HaikuIssa

 

« Fleurs de cerisier

dans la nuit – de belles femmes

descendant du ciel »

 

« Cerisiers la nuit

une musique du ciel

qu’écoutent les hommes »

 

« Ce monde imparfait

mais pourtant recouvert de

cerisiers en fleurs »

 

« Fleurs de cerisier –

au milieu d’elles se traîne

le genre humain ! »

 

 Copyright @ Editions Verdier

Livres de ma vie / Haiku. Issa #2

Une vie d’errance à observer le monde. Issa ne cessa de contempler la nature. À l’âge de 28 ans, il partit pour un pèlerinage à travers son pays. Crâne rasé et vêtu d’une simple robe. Il marcha pendant 7 ans. Entouré de fleurs, de vent et d’oiseaux.

 

HaikuIssa

 

« Hirondelles du soir

et pour moi un lendemain

sans le moindre but »

 

« Dans les fleurs de thé

ils s’amusent à cache-cache

les petits moineaux ! »

 

« Viens donc avec moi

et amusons-nous un peu

moineau sans parents »

 

Copyright @ Editions Verdier

Livres de ma vie / Oeuvres poétiques de Léopold Sédar Senghor #3

Léopold Sédar Senghor fut fantassin de 2ème classe au 31ème régiment d’infanterie coloniale et passa deux ans dans un camp de prisonniers. Il n’oublia jamais ses camarades tirailleurs sénégalais qui perdirent la vie lors des deux conflits mondiaux. Témoin, ce vibrant poème qui leur est adressé. Il l’écrivit à Tours en 1938. Il résonne en moi d’autant plus fort que très tôt mon père m’a parlé Histoire. M’a raconté. À Marseille débarquèrent à l’automne 1914 les troupes coloniales – notamment les tirailleurs sénégalais et algériens – avant de rejoindre les soldats français au front.

 

Senghor

 

Aux tirailleurs sénégalais morts pour la France

« Voici le Soleil

Qui fait tendre la poitrine des vierges

Qui fait sourire sur les bancs verts les vieillards

Qui réveillerait les morts sous une terre maternelle.

J’entends le bruit des canons – est-ce d’Irun ?

On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat inconnu.

Vous mes frères obscurs, personne ne vous nomme.

On promet cinq cent mille de vos enfants à la gloire

des futurs morts, on les remercie d’avance futurs morts obscurs

Die Schwarze Schande !

 

Écoutez-moi, Tirailleurs sénégalais, dans la solitude de la terre noire et de la mort

Dans votre solitude sans yeux sans oreilles, plus que dans ma peau sombre au fond de la Province

Sans même la chaleur de vos camarades couchés tout contre vous, comme jadis dans la tranchée jadis dans les palabres du village

Écoutez-moi, Tirailleurs à la peau noire, bien que sans oreilles et sans yeux dans votre triple enceinte de nuit.

Nous n’avons pas loué de pleureuses, pas même les larmes de vos femmes anciennes

–      Elles ne se rappellent que vos grands coups de colère, préférant l’ardeur des vivants.

Les plaintes des pleureuses trop claires

Trop vite asséchées les joues de vos femmes, comme en saison sèche les torrents du Fouta

Les larmes les plus chaudes trop claires et trop vite bues au coin des lèvres oublieuses.

Nous vous apportons, écoutez-nous, nous qui épelions vos noms dans les mois que vous mouriez

Nius, dans ces jours de peur sans mémoire, vous apportons l’amitié de vos camarades d’âge.

Ah ! puissé-je un jour d’une voix couleur de braise, puissé-je chanter

L’amitié des camarades fervente comme des entrailles et délicate, forte comme des tendons.

Écoutez-nous, Morts étendus dans l’eau au profond des plaines du Nord et de l’Est.

Recevez ce sol rouge, sous le soleil d’été ce sol rouge du sang des blanches osties

Recevez le salut de vos camarades noirs, Tirailleurs sénégalais

MORTS POUR LA RÉPUBLIQUE ! »

 

Copyright @ Editions du Seuil

Livres de ma vie / Oeuvres poétiques de Léopold Sédar Senghor #2

Le chantre de la négritude – il fut aussi le premier président de la république du Sénégal – écrivit aussi nombre de poèmes d’amour d’une beauté absolue. Inspirés notamment par sa femme Colette. « Avant la nuit » est extrait de ses Lettres d’hivernage. L’hivernage de la Femme. Avec un F majuscule comme il aimait l’écrire pour les célébrer toutes.

Senghor

Avant la nuit

 

« Avant la nuit, une pensée de toi pour toi, avant que je ne tombe

Dans le filet blanc des angoisses, et la promenade aux frontières

Du rêve du désir avant le crépuscule, parmi les gazelles de sable

Pour ressusciter le poème au royaume d’Enfance.

 

Elles vous fixent étonnées, comme la jeune fille du Ferlo, tu te souviens

Buste peul flancs, collines plus mélodieuses que les bronzes saïtes

Et ses cheveux dressés, rythmés quand elle danse

Mais ses yeux immenses en allés, qui éclairaient ma nuit.

 

La lumière est-elle encore si légère en ton pays limpide

Et les femmes si belles, on dirait des images ?

Si je la revoyais la jeune fille, la femme, c’est toi au soleil de Septembre

Peau d’or démarche mélodieuse, et ces yeux vastes, forteresses contre la mort. »

 

Copyright @ Editions du Seuil

Livres de ma vie / Se taire est impossible

Je me souviens de Buchenwald. J’ai 15 ans et découvre ce camp de concentration, situé près de Weimar. RDA à l’époque. Buchenwald. Forêt de bouleaux, je traduis. J’aime tant la langue allemande. Buchenwald. Vestige d’un temps qui me semble si proche, moi qui suis né en 1954… Chambres à gaz, crématoires, infirmerie, monceaux de cheveux et de lunettes et de dents en or. Et ces listes de noms de personnes assassinées par les nazis. Je découvre à 15 ans que les humains sont capables de se faire ce que même les loups ne se font pas. Je me souviens de mes sanglots retenus alors et de mon sang qui se glace, bien plus tard, à la lecture de ce petit livre d’échanges entre deux rescapés des camps de la mort, Jorge Semprun et Elie Wiesel, 50 ans après la fin de la seconde guerre mondiale.

Setaireestimpossible

 

« J.S. : Moi, je descendais dans le petit camp depuis l’automne 1944 pour voir certains amis, certaines personnes, qui étaient par exemple dans la baraque des invalides, la baraque 56. Halbwachs, qui avait été mon professeur à la Sorbonne, er Maspero, le père de François Maspero, qui était aussi un grand orientaliste. Et on voyait les conditions de vie du petit camp. Mais elles se sont détériorées brutalement.

E.W. : Fin janvier. Je me souviens que devant la grande baraque de la quarantaine, pour nous chasser, on nous aspergeait avec de l’eau. Avec de l’eau glacée devant la baraque. On devenait des glaçons. ET j’étais avec mon père. Et puis mon père n’était plus mon père. Mon père était mort. Et puis en fait, je ne connaissais plus Buchenwald. Je n’ai plus vécu. Donc à partir de ce jour-là jusqu’à la Libération, je n’étais plus là.

J.S. : Oui, tu le dis dans ton livre. Toutes ce semaines, où machinalement, de façon presque inconsciente, tu faisais un certain nombre de gestes, parfois il t’arrivait de jouer aux échecs sans savoir ce que tu faisais, et en même temps. Tu étais déjà…

E.W. : Je n’étais plus là. Je n’ai vécu que pour mon père. Parce que je savais que ma petite sœur, ma mère, n’étaient plus là. Les grandes sœurs, j’avais espéré bien sûr qu’elles étaient encore en vie. Mais c’était mon père. Toi, tu comprends, tu avais une vie active à l’intérieur du camp, tu savais pourquoi tu étais là, tu étais résistant, tu te battais, tu faisais partie de la Résistance. Moi j’étais un « musulman », comme on disait à l’époque n’est-ce pas, j’étais un objet. Je ne savais pas ce qui se passait. »

Copyright @ Mille Et Une Nuits & Arte Éditions

Livres de ma vie / Dictionnaire des mots rares et précieux #4

Verbes à foison dans la langue française. L’une de ses richesses. Peut-être la plus précieuse. Le verbe teinte. Nuance. Il invite au voyage. Dans l’espace et dans le temps. Difficile à conjuguer parfois mais on lui pardonne. En voici trois, en D. Comme deviner ou débroussailler. À vous de faire rouler les dés.

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DÉBACLER, v.tr. Mar. Faire sortir d’un port les vaisseaux vides afin de permettre aux bateaux pleins d’y venir décharger à leur tour.

DÉCOMPOTER, v.tr. Agric. Modifier l’ordre dans lequel se suivent les semailles et les fumures.

DUIRE, v.tr. Vieux mot qui a signifié accoutumer, dresser, et qui ne s’est conservé que dans le vocabulaire de la fauconnerie, où l’on dit duire un oiseau pour l’apprivoiser et lui enseigner à chasser.

Livres de ma vie / Dictionnaire des mots rares et précieux #3

Mots déguisés. Mots caméléons. Mots qui prennent un malin plaisir à nous induire en erreur. De nous entraîner sur de fausses pistes. Mots mosaïques. Précieux et mystérieux. Planqués derrière leur parure trompeuse. En voici trois en C. C comme cache-cache.

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CANON, n.m. Archéol. Pot à onguent. // Art. vétér. Partie de la jambe du cheval comprise entre le genou et le boulet. // Cost. Ornement d’étoffe attaché au bas d’une culotte, parure fort en vogue au XVIIIème siècle. // Techn. Corps d’une seringue. Pièce de la serrure qui reçoit la clé. Partie forée de la clef. Bâton de soufre. Instrument à l’usage des repasseuses pour tuyauter les dentelles. Tuyau de la plume d’oie. // Imprim. Nom donné à des caractères d’imprimerie qu’on emploie principalement pour des affiches. // Métrol. Petite mesure pourles vins d’une capacité d’un huitième de litre.

CARCAN, n.m. Collier d’orfèvrerie autrefois porté par les femmes.

CATIN, n.m. Bassin de réception du métal en fusion dans les fours à réverbère.

Livres de ma vie / Dictionnaire des mots rares et précieux #2

Mots de métiers, mots de labeur, mots qui soulignent un défaut, une anomalie. Mots qui se rapportent à l’écrit, à son histoire. La lettre B en regorge. En voici trois, pour la bonne bouche.

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BATTITURE, n.f. Se dit des petits fragments de métal incandescent qui jaillissent sous les coups du marteau de forge.

BLÉSITÉ, n.f. Vice de prononciation proche du zézaiement et consistant à substituer une consonne faible à une plus forte

BOUSTROPHÉDON, n.m. Paléogr. Manière d’écrire alternativement de droite à gauche et de gauche à droite, à l’imitation des sillons d’un champ. Les plus anciennes inscriptions grecques sont en boustrophédon.

Copyright @  les Éditions 10/18, sous la direction de Jean-Claude Zylberstein

Livres de ma vie / Dictionnaire des mots rares et précieux #1

Toujours aimé les mots. Pour leur sonorité surtout. Bavard depuis le berceau, toujours raffolé des mots dits, dictés, criés, lâchés en douceur ou énoncés. Et puis les accents. Tous les accents. Le pointu de Paris, le traînant de Corse, le brut de Lorraine et surtout les accents venus d’ailleurs. D’autres pays. Mon grand-père zurichois roulait les r et promenait des sonorités germaniques que j’adorais. Jesùs, mon ami de Valencia a du mal avec les g et les v. J’admire sa volonté d’apprendre. Son application. Je déteste les gens qui se moquent du français parlé avec les accents du monde.

J’aime aussi les mots qui ouvrent des horizons poétiques ou mystérieux ou les deux à la fois. Les mots rares. Ceux que l’on n’entend plus. Ceux que je n’ai jamais entendus. Dont j’ignore le sens. Rares et précieux. Rassemblés dans un petit dictionnaire où je me plongerai de temps en temps ici en vous invitant à picorer avec moi quelques pépites.

dictionnaire des mots rares et précieux

ABROUTI, E, adj. Bois abrouti : dont les pousses ont été broutées par le bétail.

ACCON ou ACON, n.m. Navig. Chaland de faible tirant d’eau. // Embarcation utilisée dans les parcs à huîtres et à moules // Petit bateau plat permettant d’aller sur les vasières.

ALLEMANDERIE, n. f. Techn. Atelier de forge où l’on tranforme le fer en barres calibrées.

 

Copyright @  les Éditions 10/18, sous la direction de Jean-Claude Zylberstein

Livres de ma vie / B comme Bruegel #4

La Fenaison. La campagne en été. Les travaux des champs. Hommes, femmes et bêtes. Les origines. Les racines communes. C’est comme si Bruegel nous faisait entendre leurs gestes en nous reliant à nos ancêtres paysans. Paysage où règne la paix. Horizon dégagé ouvert sur d’autres contrées peuplées de gens de la terre. On se prend à imaginer que la rivière nous entraine vers la mer. Ces travailleurs des campagnes ne la connaîtront sans doute jamais.

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R comme Reportage

« Bruegel est comme un journaliste qui ferait un reportage en images. Dans les campagnes, l’œil aux aguets, il observe les paysans qui travaillent puis, de retour dans son atelier, il peint des scènes qui racontent la vie des gens de son temps. Il ne cherche pas alors à inventer des histoires mais à décrire les choses telles qu’elles sont.

Un jour, un riche amateur d’Anvers lui passe une commande qui lui fait grand plaisir : une série de tableaux représentant les saisons pour décorer sa maison. Bruegel peint la fin de l’hiver lorsque tout est humide et sombre et le début de l’été quand les fruits sont si bons, il peint l’été doré des moissons et la venue de l’automne. Il peint l’hiver tout blanc et le froid et la glace.

À chaque saison sa couleur : jaune pour le plein été, bleu pour le printemps, brun pour l’automne. Ici pour ce radieux mois de juillet, l’un des six panneaux peints par Bruegel, c’est le vert qui domine ».

Fenaison

Copyright @ Réunion des Musées Nationaux. Collection dirigée par Marie Sellier