Shanghai est une clarinette

Shanghai est une clarinette

Chaque soir tu te demandes vers où partent les derniers avions qui passent au-dessus de la ville avec leurs petites lumières rouges qui clignotent à travers les nuages tu les imagines en route vers l’Australie ou vers le Japon et le Fuji et tu te souviens du Fuji survolé à ton retour de Tokyo il y a quatre ans enneigé il était comme sur les peintures d’Hokusai depuis c’est l’un des grands rêves de ta vie de venir te poser un jour à ses pieds et de le gravir jusqu’au sommet tu espères que ce jour viendra les passagers de l’avion qui avance là-haut vers l’ouest ils l’apercevront peut-être tout à l’heure en survolant le Japon un autre avion vole à présent en direction de l’immeuble d’où s’échappent des notes de clarinette il fait ses gammes le musicien et c’est joli à moins que ce soit une dame qui profite de la quiétude du soir malgré le vacarme des avions pour lancer sa musique dans la nuit de la ville tu es aux premières loges sur la terrasse tu voudrais t’y allonger en écoutant la clarinette te bercer fermer les yeux et te réveiller demain matin sur les pentes du Fuji.

Shanghai est un insecte géant

jardinierShanghai

Elle est finie ta sieste Papet il ne pleut plus le silence est revenu sur la terrasse tu as pu dormir quelques heures décalé comme un bébé qui ne sait distinguer le jour de la nuit tu as chassé cette fatigue collée à toi par la pluie et le gris depuis mardi tu te réveilles en douceur enfin presque parce que là tu ouvres l’œil au beau milieu d’un bourdonnement qui te parvient d’en bas de la maison comme un insecte géant déployé sur la ville alors tu sors pieds nus sur le caillebotis encore un peu humide et l’insecte en dessous invisible depuis ton lit se transforme en escouade de jardiniers le premier avec un rotofil dans les mains suivi d’un autre avec râteau et balai et d’un troisième sur un tricycle à petite remorque pour charger l’herbe et les branches coupées ils avancent paisibles sous le soleil timide qui réapparaît à présent tu te dis que c’est un cadeau cette paix et ce soleil le premier cadeau du nouvel automne à Shanghai ce soleil chaud qui t’invite à la promenade alors tu descends marcher dans les allées tu croises les jardiniers ils ne font pas la sieste les jardiniers de Shanghai tu leur dis bonjour ils te répondent Ni Hao et tu pars saluer les arbres en souriant tu te souviens qu’en chinois arbre se dit Shù avec un ou bien sonore et bien bref puisque c’est le quatrième ton tu souris car Shù c’est ton nom en chinois cette si belle langue aimée de ta grande fille adorée et qui fabrique des noms du monde avec des sons du monde.

Shanghai est une pétarade

nuitpétards

Allez pose-toi maintenant grand-père après la fête du pitchoun et toutes ces heures à chevaucher pays et continents allonge-toi sur le grand lit du haut dans la chambre prêtée par Alexandre ouverte sur la ville et tente de fermer les paupières tu entends la pluie faire tic tic tic sur le caillebotis de la terrasse ça berce la pluie toujours ça te berce à la maison c’est pareil tu as appris à l’aimer cette pluie bénie qui apaise l’âme et abreuve les champs tu aimerais partir à la campagne découvrir la campagne chinoise et parler avec les cultivateurs tu voudrais bien tu verras si tu peux si ça peut se faire tic tic tic tout à coup une pétarade jaillit et claque tu ne sais d’où tu sors écouter de plus près pas la plus violente pétarade que tu connaisses depuis que tu viens en Chine mais quand même vigoureuse et joyeuse ils doivent fêter tu ne sais quoi peut-être une naissance oui ou bien un mariage mais non en pleine semaine ils ne se marient pas ici enfin tu ne sais pas à moins que ce soit l’entrée dans un appartement ou bien une embauche car il y a du travail à Shanghai je crois bien peut-être dans les usines de fabrication des pétards et ça continue à péter tu n’entends plus la pluie qui pourtant ne s’arrête pas il est joli le caractère pluie en chinois 雨 comme des gouttes sous un toit yū ça se prononce en baissant puis en remontant la voix sur le u troisième ton c’est très joli à dire depuis ton arrivée tu l’as beaucoup prononcé ce mot et ça fait plaisir et pétard tu ne sais pas alors tu vas demander à Alexandre comment on prononce pétard et comment ça s’écrit car la fête continue en face et toi tu te recouches et tentes de trouver un zeste de sommeil tu te sens bien malgré la fatigue car tu sais que quand le jour se lèvera les pétards se seront tus et les colombes commenceront à roucouler comme chaque matin que Shanghai fait.

Shanghai est un bruit de fond

 

 

Vas-y engouffre-toi dans la ville tu sors de l’avion et l’air moite caresse ta vieille peau tu cherches un coin de soleil un coin de bleu mais tu te souviens qu’ici le gris habille le ciel alors tu hausses les épaules et tu retrouves le bruit de fond de la ville qui te voit apparaître chaque année lorsque se pointe la fin de l’été tu souris au chauffeur de taxi lui dis bonjour Ni Hao et tu te poses face à la route qui avance maintenant vers l’autre bout vers l’ouest et tu lis un gros quarante cinq écrit en rouge tu crois il te semble que c’est bien peu quarante cinq kilomètres pour aller de l’autre côté de Shanghai où tu es attendu c’est plutôt soixante tu te dis alors tu respires un grand coup et tu commences à tenter de parler un peu avec le jeune homme aux deux téléphones un pour le GPS et l’autre pour tchatcher avec un collègue tu penses que c’est par WeChat c’est autorisé ici au volant tu te demandes mais tu t’en moques car il est père de famille tu comprends que son enfant a trois ans il te montre les années avec ses doigts l’auriculaire replié avec le pouce ils énoncent les chiffres ainsi avec les doigts les Chinois tu t’en souviens Clément te l’a montré cet été tu as un peu révisé avec lui tout comme les mots de chinois qui te permettent d’échanger avec le chauffeur qui est tout sourire en te disant que tu parles bien alors tu réponds que tu adores parler chinois même si c’est difficile et l’écrire encore bien plus il te demande si le français c’est dur aussi tu réponds que oui alors il met la radio chinese music il te dit avec un zeste d’ironie c’est de la musique au mètre avec paroles en chinois il danse un peu sur son siège en souriant encore puis il baisse la vitre se racle la gorge et crache vers le bas côté lorsque la voiture ralentit car les embouteillages commencent à freiner le flot de véhicules dans la nuit installée maintenant sur la ville ça klaxonne moins que l’an passé tu te dis sauf les gros camions verts sur la droite bondés de travailleurs aux visages épuisés avec derrière des remorques chargées de rouleaux de fil de fer de plaques de béton de tuyaux géants car ça construit à tour de bras à Shanghai tu le sais bien que la ville pousse vers l’ouest chaque jour davantage cet ouest où tu arrives maintenant tu reconnais le quartier la station service le practice de golf avec ses hauts filets de protection l’hôtel un peu moisi d’en face le restaurant italien où la pizza se défend et l’établissement de massages au parking qui ne désemplit pas tu passes le poste de garde et tu arrives au bout de l’allée il y a des drapeaux chinois fixés sur les poteaux électriques parce que bientôt la Chine fête l’anniversaire de la création de la République populaire ça y est tu descends et marches à présent dans l’air tiède et déjà les grillons font cri cri cri doucement tu avances vers la maison où tu es attendu pour l’anniversaire de Raphaël deux ans tout juste le pitchounet que tu chéris de tout ton cœur et tu sais que tu vas fondre en l’embrassant .

Onze femmes de Shanghai 十一个上海的女人

femmesdeshanghai2

Raconter en trois phrases un personnage en le décrivant « non pas en général, mais dans un moment précis d’une histoire…. non pas depuis lui-même, mais depuis son contexte et ce qui le meut ».
En raconter onze en tout.
J’avoue que j’ai tourné viré pendant de longues semaines avant de me lancer sur les traces des 68 contributeurs qui se sont avant moi laissé tenter par l’invitation-proposition de François Bon sur son Tiers Livre.

Peu ou pas inspiré suis depuis de très longs mois. Deux romans en jachère. N’arrive pas à faire émerger les mots qui pourraient leur donner un semblant de suite.
Seuls quelques poèmes parviennent à s’échapper de temps en temps de mon stylo.
Au quotidien, se résoudre à répéter et conjuguer le mot résilience au fond du brouillard de soi-même, et pas que dans l’écriture.

Et puis, une petite embellie avant-hier à la lecture de la très belle contribution d’Arnaud Maisetti à l’atelier de François. Ses onze personnages esquissés à partir d’expériences de voyages m’ont renvoyé illico à Shanghai, si chère à mon cœur.
L’an passé, mon voyage là-bas m’avait inspiré plus de cinquante Shanghaikus.
Je les ai revisités et me suis lancé en choisissant onze femmes approchées lors de mes séjours annuels à Shanghai.

Pour le plaisir et le mystère de la calligraphie, j’ai demandé à ma fille de traduire le titre de ce billet, en attendant de pouvoir moi-même un jour écrire correctement en chinois.

十一个上海的女人

1. Jia Jia dessine sur la peau des hommes les tatouages qu’ils ont choisis.
Au revers de sa main qui danse au rythme de l’aiguille gorgée d’encre, elle s’est fait tatouer le Mont Fuji d’Hokusai. Il l’accompagnera cet hiver au Pays du Soleil Levant, dans son premier voyage hors de Chine.

2. En attendant que le feu passe au rouge, Feng fredonne la ritournelle triste diffusée par son autoradio. Elle voudrait bien rentrer chez elle après ses dix heures de volant, mais tant que des bras se lèveront au-devant de son taxi, elle continuera de braver les embouteillages. À bientôt 70 ans, Feng travaille sans compter pour payer les études de son fils, futur avocat d’affaires.

3. Rue Fuzhou Lu, Zhen agite un éventail pour chasser la vapeur qui s’échappe de trois petits paniers ronds en bambou. Debout dans un réduit brun de crasse coincé entre une boutique dédiée à la calligraphie et un salon de coiffure, Zhen vend ses raviolis à la pièce. Un très vieil homme est allongé devant une télé miniature au fond du réduit. Sans doute son père.

4. Mei brandit en souriant la grosse pomme de terre arrachée du sol noirâtre de sa parcelle. Avec son mari Wang, ils se sont installés là un beau jour sans rien demander à personne. Depuis, sans rien échanger d’autre que des éclats de rire, ils cultivent leurs légumes. Mei et Wang n’ont jamais eu d’enfant.

5. Hua a oublié le son de la première pièce jetée par un passant sur le trottoir où elle joue du ErHu près de la station de métro Xindianti. Hua ne connaît ni le visage ni le prénom du jeune homme qui chaque jour la ramène chez elle sur son vélo. Hua est aveugle et fêtera ses vingt ans le mois prochain.

6. Ting Ting est en colère mais seule Niu, sa fille de cinq ans, le sait. Tout à l’heure, à la sortie de l’école, elle a tendu la main au maître mais il l’a ignorée. Au début de l’année, pourtant, elle était allée le saluer. Il lui avait même souri. Aujourd’hui, il n’a parlé qu’avec les mamans qui lui tendaient une petite enveloppe.

7. Agenouillée face à une croix aux lumières fluorescentes rouges, Xia-He murmure sa prière à Jésus les yeux fermés. Elle a rencontré le pasteur et la foi au moment où son fils Deng s’enfonçait dans l’alcoolisme. Aujourd’hui Deng est mort et Xia-He se rend au temple chaque jour.

8. Yun ne dit jamais un mot aux joueurs dont elle porte le sac sur le parcours du Sheehan Golf Club. Elle se contente de leur sourire, de tenir le drapeau sur le green et de leur nettoyer les clubs, comme on le lui a appris. Parfois on lui tend la pièce après la partie. Yun la refuse toujours et tente d’oublier qu’ici, le droit de jeu dépasse ce qu’elle gagne en un mois.

9. Li Na avait trouvé une place de vendeuse chez un boulanger installé près du Bund. C’est la première fois qu’elle travaillait depuis la fin de ses études de psychologie. Li Na s’y plaisait bien, mais demain, il lui faudra quitter la boutique car son patron l’a surprise ce matin en train de manger un croissant en cachette.

10. Lo Shen n’en peut plus de cette chaleur dans la salle d’attente. La climatisation est en panne, ils lui ont dit à l’accueil de l’hôpital. Près de six heures qu’elle patiente parmi des dizaines d’autres mamans et elle n’est pas sûre de passer avant la nuit. Lo Shen n’a plus d’eau à donner à Zhou, son fils de six mois, exténué de fièvre.

11. Dans l’avion qui la ramène au pays, Xiu ne relève pas les sourires moqueurs et les plaisanteries grivoises de quelques passagers avinés. Elle continue de leur servir du champagne, le visage impénétrable. Demain-matin, elle ira réclamer à sa compagnie de ne plus l’affecter sur la ligne Shanghai-Paris.

Feuilletons-radio, étonnez-nous !

img_2677

#journeemondialedelaradio
le hashtag a fleuri ce lundi sur Twitter
d’ordinaire je me tiens à distance de ces messes
artificielles
désincarnées
sans intérêt
mais là, pas le même feeling
parce que la radio
plus de trente ans de ma vie qu’elle résonne fort et fait sens
mondiale donc cette journée
alors j’ai ressorti de l’ordi un souvenir sonore
ramené l’automne dernier de Shanghai
depuis l’intérieur d’un taxi
branché sur un feuilleton radiophonique

n’ai rien compris du tout
of course
mais ai bien observé le visage du chauffeur
tandis qu’avançaient la voiture et l’épisode
le vivait intensément
entre froncements de cils et sourires

img_0287

me suis souvenu des dames d’un certain âge
dans mon quartier de Marseille
étaient abonnées à leurs feuilletons
ne loupaient pas un épisode
c’était un rendez-vous important de leur journée
en ai oublié les noms
l’INA m’en a rappelé quelques uns
Noëlle aux quatre vents
San Antonio

et puis mon ami Fañch Langoet
mémoire vivante de la radio
m’a parlé de sa grand-mère
elle écoutait 51, rue courte sur Radio Luxembourg
La Famille Duraton aussi
lui assis sur ses genoux

la-famille-duraton
– et aujourd’hui lui ai-je demandé ?
– pas grand chose hormis le Feuilleton de France Culture
quotidien du lundi au vendredi
pour lequel la chaîne ne fait pas grande publicité …
et pourtant
cette Amérique de Kafka
entre autres rendez-vous du soir
elle en vaudrait bien de la promo, non ?

suis pas un penseur de la radio
loin s’en faut
mais peut-être y aurait-il quelque chose de beau
d’intelligent
de sensible
à creuser et créer dans le filon du feuilleton
quelque chose d’utile aussi
à feuilletonner et feuilletonner encore
avec de belles histoires
de la mise en haleine
de l’étonnement
des rendez-vous d’écoute et de partage
ça nous changerait de la fade et triste radio filmée
dont il paraît que c’est moderne et tout et tout
que c’est l’avant-garde de l’audiovisuel
peuchère …

en attendant
le podcast est là et bien là
et je ne m’en prive pas

Binge Audio et Julien Cernobori par exemple
ont créé chaque jour le désir d’être en même temps
aujourd’hui et le lendemain
pour suivre leur Super Héros
Hélène elle se prénomme

vivement le 21 mars
pour découvrir le deuxième personnage exceptionnel
de ce très beau feuilleton
ce sera un jeune homme

Un réveil Allegro

img_0344

Un très joli cadeau
ce petit morceau
arrivé dans la nuit
de Shanghai où le soleil luit
toujours avant ici

cet Allegro
m’attendait au réveil
au violon, Alexandre
bientôt 10 ans
l’aîné de mes petits-fils

img_2157

pour le remercier de cette merveille
lui dédie ce bijou

Partita N°2 en ré mineur – Jean-Sébastien Bach – Renaud Capuçon

 

La romance des amants papillon

Il connaît ses classiques
le flûtiste de rue

img_2696

les amants papillon
c’est l’air qui joue sur sa longue flûte
et qui s’échappe de l’ampli à l’abri dans son sac
les amants papillon
une légende chinoise issue de la dynastie Jin
une sorte de Roméo et Juliette de là-bas
l’histoire d’amants désespérés
Zhu Yingtai et Liang Shanbo
plutôt que d’être séparés
ils préfèrent mourir
la légende raconte qu’après leur mort
deux papillons se sont envolés vers l’infini
ce « tube » de la culture chinoise
est décliné en d’innombrables versions
au violon, c’est joli aussi je trouve

Entre femmes

Elles se retrouvent à la nuit tombée
le dimanche
entre femmes
une sono sur le trottoir
et elles dansent
pendant des heures

img_3321

des amies ou des copines du quartier sans doute,
ces danseuses du soir
ouvertes aux nouvelles venues
à ces mamans avec enfant qui se joignent au bal
point d’homme sur la piste
ils observent de loin

img_3336

ils auraient envie, qui sait
de venir se mêler aux pas légers de ces femmes
et respirer le parfum de liberté
qui glisse autour de leurs corps offerts à la nuit
mais ils ne savent pas se lâcher
peut-être le désirent-ils mais ils n’osent pas
seul le marchand ambulant approche son tricycle et il sourit.

img_3338