Retour au Japon – Suzumushis et origamis日本 #2

À la sortie de Ueno Station, je me joins à quelques spectateurs qui font face à un chanteur de rue à la voix aigüe. Il s’est installé devant son synthétiseur, près d’un chantier à l’arrêt, sous la voie ferrée. Le fond sonore ne le perturbe pas. Il fait chaud et humide. J’ai très soif. Je ne m’éternise pas et pars vers le Parc Ueno voisin qu’il me faut traverser pour rejoindre mon auberge, appelée ryokan, りよかん en japonais. Dans les allées, le chant des grillons – les suzumushis, すずむし- m’accompagne. J’ai lu que c’est à l’approche de l’automne que leur petite musique résonne le plus et que les Japonais s’intéressent depuis des siècles au chant de ces insectes comme à celui des cigales. Il paraît qu’il n’est pas rare à Tokyo, vers la fin de l’été, de voir des gens placer quelques suzumushis dans une petite cage en bambou installée devant leur fenêtre et profiter de leur concert. Rien de tel dans mon ryokan. Le chant des grillons est moins présent dans ce quartier. En arrivant, je découvre sur une étagère des statuettes représentant sept Bouddhas, une petite poupée rieuse qui ressemble à un santon joufflu et de jolis origamis, おりがみ. Le sens japonais de l’accueil n’est pas une légende.

(à suivre)

Retour au Japon – Wataru 日本 #1

Dans le monorail qui relie l'aéroport de Haneda au centre de Tokyo, un petit garçon me fait face, assis sur une grosse valise métallique entre son papa et sa maman. Ils sont beaux tous les trois. Tout sourire, il m'écoute lui dire les tout premiers mots que j'ose en japonais : 
あなたはかわいいです! Tu es mignon !
Ses parents sont contents. Je lui demande son prénom. Il s'appelle Wataru. C'est doux à prononcer Wataru, avec ce "r" qui ressemble bien davantage à un "l". Wataru a quatre ans. Il habite le nord du Japon. Avant la rentrée des classes, il vient passer quelques jours à Tokyo. Peut-être chez de la famille ou des amis. Ses parents ont pris quelques sacs avec des cadeaux dans leurs bagages.
Le train ralentit. Hamamatsucho Station en approche. Je vais descendre là et prendre une autre ligne.
Wataru me sourit encore et me lance :
なんさいですか?Quel âge as-tu ?
Comme j'ai bien révisé, je réussis à lui dire que j'ai 70 ans.
Encore une petite demi-heure de trajet et j'arriverai à Ueno Station.
Il est 20 heures. 7 de moins en France. Plus d'un jour plein de voyage.
Un peu décalé mais hâte de me retrouver au grand air dans Tokyo où je n'étais plus retourné depuis douze ans. (à suivre)

Balin-balan rejoindre ma madone

Bien bruyant le vieux TER. Balin-balan, il mène sa vie de petit train fatigué. N’est pas du tout pressé. Longe la mer, de gare en gare. Se repose un court instant et repart en grinçant. Seul dans la rame, les paupières closes, je m’en vais rejoindre ma madone.

TER

La madòna dau TER – Moussu T e lei Jovents

Hiver #6 Île aux moines et île numérique

Choisir une île. S’échapper de la côte et du territoire connu. S’extraire de la routine des heures et partir vers le large. Embarquer. Laisser affleurer l’ivresse douce offerte par l’air marin et le léger roulis. Me souvenir de mon grand-père corse qui navigua toute sa vie entre Marseille et son île natale, calé dans la salle des machines. Sur le pont, écouter l’avancée du bateau. Longer les balises colorées de rouge et de vert. Deviner les montagnes blanches de neige, là-bas au loin. À même pas une demie-heure du port de Cannes, débarquer sur l’île Saint-Honorat, la plus petite des deux îles de Lérins. Mille cinq cents mètres de long sur quatre cents mètres de large, pas plus. Ce micro-territoire accueille des moines depuis l’an 410. Bénédictins d’abord. Cisterciens depuis 1867. La communauté d’aujourd’hui est réduite à une vingtaine de moines, âgés de trente à quatre-vingt dix ans. Retranchés dans leur cloître, leurs salles communes et leurs cellules, ils ont choisi de « se laisser façonner par Dieu ». À distance de notre monde, celui des non-reclus. Isolés derrière les murs de leur abbaye, ils sont invisibles, sauf lors de la messe quotidienne.

 

Arrivé trop tard sur l’île. Tu aurais aimé entendre leurs voix, leurs chants, leurs prières. Tu ne les approcheras pas. Il te faudra revenir après l’hiver pour les apercevoir travailler leurs vignobles. Alors, tu laisses aller tes pas sur le sentier qui fait le tour de l’île et tu écoutes la mer.

La mer, sans doute l’entendent-ils depuis leur monde. Sans doute apprécient-ils son chant. Sans doute leur permet-elle de se sentir encore plus proches de ce Dieu mystérieux auquel tu crois par intermittence, toi. Ce Dieu d’amour et créateur – paraît-il – que tu grondes de plus en plus souvent parce qu’il ne fait rien pour empêcher la saloperie du monde.

Nos îles numériques. Voilà quelques semaines que je rends visite à ce site imaginé par deux écrivains découverts et rencontrés sur le net, Anne Savelli et Joachim Séné. D’entrée, ils ont affiché la couleur : notre projet d’écriture utilise le web pour en cultiver la richesse et en contrer les effets néfastes. « Richesse et effets néfastes » résonnent en moi depuis si longtemps que j’ai choisi de participer à l’enquête qu’ils proposent, dédiée à nos rapports avec le numérique, à nos histoires de connexion, aux perturbations et aux bonheurs que le net engendre. Dans la dernière étape de leur enquête, Anne et Joachim proposent d’inventer ses lieux de refuge, de repos. Ils suggèrent aussi de se déconnecter d’internet – trois jours, une semaine ou un mois – et d’imaginer un lieu où vivre cette expérience – son île numérique – où se connecter à ses premières émotions, à ses premières sensations à l’écart du web. À l’écart du tumulte des clics, des scroll, des notifications et des réseaux sociaux. Allez, banco ! Je me laisse tenter. Dès demain, je me déconnecte du net. Pendant trois jours. Sans appréhension. Excité par le choix de ce petit voyage vers une île inconnue. Désireux de me laisser façonner par sa découverte, tel un moine de l’ordre des déconnectés. La semaine prochaine – à moins que je décide de prolonger l’aventure – je tenterai de raconter ici comment je l’aurai vécue. D’ici là, musique, avec un morceau dont j’ai commencé à étudier l’arrangement pour violoncelles, dans le petit orchestre auquel ma prof m’a invité de participer.

The show must go on – Queen

Sur l’arbre

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Juché sur la cime qu’attends-tu vieux voyageur des forêts vers quels horizons tournes-tu ton regard de cyclope étonné tu as pris le temps d’arpenter les sentiers bleus des matins tu t’es glissé entre les précipices tu as frôlé les crevasses du monde et tu l’observes à présent figé d’étonnement ou de stupeur ou de froid qui sait rien ne te protège des tempêtes à venir rien pour t’abriter lorsque approchera en silence à travers les nuages enfantins et les nuées d’oiseaux le grand tremblement qui d’un coup d’un seul nous enveloppera tous de ce noir où tout sera à réécrire repeindre réinventer.

Photo de ci-haut : « On the tree » , œuvre de HiroshiTachibana

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À travers l’Aragón

Je ne peux m’empêcher
de faire des travelling

là c’est l’Espagne
à travers l’Aragón
en direction de Zaragoza

les rares arbres nous tournent le dos
le paysage file à rebours
tandis que serions à l’arrêt
nous nous enfoncerions sous terre
puis happés par le ciel
nous ne résisterions pas à l’appel
de ces moulins à vent modernes
troupeaux de géants
certains déjà bien las
de tourner en rond dans le sens du temps
comme nous autres parfois

j’aime longer cette terre
ses champs ouverts comme une mer
ses entrepôts, ses silos
ses usines d’autrefois
leurs cheminées gratte-ciel
ses wagons de marchandises délaissés
ses voies ferrées qui espèrent les trains

j’aime deviner l’horizon de cette terre
au-delà de la caresse des arbres et des roseaux

Migrateur

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Puisqu’il faut rentrer
redescendre de la montagne
retourner sur le sol d’avant
non-pas cheminer à reculons
non
se placer dans l’autre sens
revenir dans les contrées laissées en friche
redessiner les contours effacés
laisser le ciel peser sur les silences et les cris d’ici

puisque l’heure sonne d’un nouvel abandon
chaque fois il le faut
oui
abandonner encore
toujours pareil
c’est
enfouir à nouveau le lien ténu avec la neige et la glace
gommer l’éclat des roches
rayer l’alphabet des écorces
écrire cette lumière et repartir

puisqu’il faut oser l’au-revoir
tourner le dos
quitter
couper
perdre

s’en remettre à présent aux calligrammes des migrateurs
redécouvrir leur grâce au-dessus des branches frêles
goûter les traces laissées aux pieds, aux doigts, au corps tout entier
puis, savoir se fondre dans les rêves de départ

Der Wanderer – Franz Schubert – chant : Dieter Fischer-Diskau – piano : Gerald Moore

Il est où l’avion ?

Le nez en l’air comme souvent. Regarder le ciel. Frôler la limite entre la frise de blanc et l’azur. Un avion passe. Vers où trace-t-il sa route ? Impossible à distinguer. Il a dû s’éterniser dans les nuages. Imaginer le pays où il se posera. Tout à l’heure. Dans la nuit. Ou bien demain. Lorsque poindra le jour sur le parc peuplé de chênes et de platanes, où le petit garçon est venu me demander Il est où ?

Avec mon fils, devenir des étrangers

Avec Marius, nous nous apprêtons à voyager en dehors des frontières de notre France. Descendons à Barcelone. Migrons vers cette ville que nous imaginons accueillante pour les étrangers. Notre grand-père et arrière grand-père fit le voyage – depuis Zürich – dans l’autre sens. Ce n’était pas pour des vacances. Ne l’oublions pas. La chanson d’HK & les Saltimbanks nous accompagne. Répèterons en choeur l’une des paroles : 7 milliards d’étrangers sur la planète…