
Quitter de bonne heure le futon, ふとん et la couette, sortir sur la petite terrasse de mon ryokan, りょかん et apercevoir un cône bleu-gris au-dessus des toits. C’est bien lui. C’est le Mont Fuji. Arrivé la veille au crépuscule à Fujinomiya, je l’avais cherché dès la descente du train mais pas trouvé, masqué qu’il était par un moulon de nuages. Ce matin, temps clair, ciel dégagé. Il daigne enfin se montrer, le vénérable Fuji san, 富士山.


C’est tout là-haut que je veux aller. Ce rêve de si longue date, je l’ai nourri de lectures, entre autres de livres de haïkus, et d’heures passées à découvrir et contempler les estampes des maîtres de l’ukiyo-e, うきよえ, image du monde flottant en japonais. Déjà, petit garçon en classe, sur la carte murale du monde suspendue à côté du tableau noir, je tentais de tracer un parcours depuis Marseille vers le Japon et son plus haut sommet. Le maître nous l’avait nommé parmi quelques autres lieux du lointain, je crois me souvenir. Il y a des mots comme ça qui résonnaient comme empreints de magie. La Grande Muraille de Chine, la Cordillère des Andes, l’Océan Pacifique et puis le Mont Fuji. Inatteignables mais tellement désirables. Et me voici pour de vrai devant cette montagne mythique. M’en rapprocher tout bientôt encore davantage est source de joie. D’inquiétude aussi. Parviendrai-je à me hisser tout là-haut ? La propriétaire du ryokan me confie qu’elle a beau habiter tout près du Fuji san, jamais elle n’a tenté l’aventure. En souriant, elle me fait comprendre très poliment qu’il faut être un peu fou pour s’y lancer. Je lui confirme que oui, fou de Fuji je suis et que mon retour au Japon est avant tout motivé par l’accomplissement de ce rêve. Je me languis aussi de revenir à Kamaishi, la ville de l’acier, au nord-est de l’archipel, endeuillée par le tsunami de mars 2011. Mais d’abord, monter au sommet de la montagne sacrée des Japonais. Plus que deux jours à patienter… D’ici-là, réécouter cette petite musique évoquée ici-même en mai 2013.
* (la musique en dessous de la photo du haut : 色あせない思い出, Des souvenirs impérissables, de la compositrice Yuki Murata)
(… à suivre)