Le toit d’en face
espère une embellie
six ailes de colombes aussi.
Auteur : ericsons
Ma chéchia
Mon couvre-chef d’intérieur est une espèce de chéchia
plus de 15 ans que je la porte
depuis que j’ai froid au crâne avec la vie qui avance et se peuple d’années
ma chéchia en coton ressemble comme une sœur à une kippa
un peu plus large de taille elle est
confortable comme j’aime
s’ajuste bien à ma tête déplumée
parfois, je la garde pour sortir au marché ou à la boulangerie
elle me maintient à bonne température
personne ici ne me dévisage
personne ne me montre du doigt
personne ne m’ordonne de filer chez moi puisque je suis chez moi ici
dans cette ville de mélanges
plus de vingt-six siècles de mescle
peaux, religions, langues, le grand et beau brassage
ici, salam et shalom et salut s’échangent avec le sourire
sans ôter ni chéchia ni kippa
ni casquette ni chapeau ni couvre-chef de son choix.
je ne suis ni musulman ni juif
ne me découvre jamais pour engueuler Dieu au cas où il existerait.
Juifs Arabes – Philippe Katerine
A cappella
Le déluge dehors a cappella
les gouttes comme des poings sur l’horreur du jour qui part
tapent les tuiles par vagues d’exil
tambour de pluie en larmes
tonnerre colère misère partout
les gouttières débordent et déferlent au ras des façades repues
entrouvre la fenêtre
frissonne
besoin d’éprouver le vent du large
arrive de l’océan par les cimes sombres, là-bas
affole la girouette rouillée
caps perdus en route
boussoles noyées
complies égarées
à peine le temps de remplir poumons
le temps d’y croire encore un peu
l’orage est passé à travers la buée du crépuscule
voudrais un déluge de neige maintenant
neige neige neige a cappella je murmure
peindre l’avenir en silence
reprendre une page vierge de prières.
Chant grégorien de l’Abbaye de Fontfroide – Complies cisterciennes
Image : Crépuscule – Félix Vallotton – 1904
Le toit d’en face #1
Le dos droit de Rubinstein
M’accompagne souvent, le fils de tisserand
mains longues en ondes de fée
cheveux d’ange
regard d’enfant
cœur de géant
brillante danse des doigts sur l’ivoire du Steinway
premier concert à l’âge de 7 ans
il a souri jusqu’au bout,
le dos droit jusqu’à la fin des temps.
Arthur Rubinstein en concert à Moscou, le 1er octobre 1964
Que ma joie demeure
Bientôt l’heure de baisser le rideau
cacher la petite crèche
en plus, l’herbe aux lentilles fane
faut débarrasser, tourner la page
bien envelopper la grange et les santons
les protéger un à un
Lou Ravi d’abord, Jésus à la fin
papier journal puis paille puis carton puis armoire tout au fond
demander pardon
penser au rachat
Noël loin, déjà si loin
que ma joie demeure.
Jesus bleibet meine Freude de Johann Sebastian Bach par le Tölzer Knabenchor
Hiver de misère
hiver du tonnerre
se promène en montagne parmi les ruines d’un vieux fort
tout là-haut accroché sous le soleil
l’herbe encore douce sous ses pas
à peine un pull sur ses bras
soudain sursaute, le fracas d’un moteur
vibrent les roches
tremblent ses pieds
s’approche l’oiseau de fer et son rotor
n’en croit ni ses oreilles ni ses yeux
là, en contrebas de la paroi
l’hélicoptère livre de la neige
bientôt porteront de l’eau à la mer
du sable au désert
hiver de misère.
© photo Anabelle Gallotti- Radio France
Atardecer
Atardecer
Le frère vespéral du matinal, ce joli mot castillan. L’instant où le soleil se faufile vers l’ultime ligne de l’horizon. Il nomme le coucher de l’astre comme le crépuscule.
Atardecer, atardecer, atardecer
Je le préfère un peu à son presque jumeau car il offre deux roulements de r, lui.
Atarrrdecerrr
Parfois je les roule trop et mes amis espagnols en rient.
À la suite de son a initial, se pointent les cinq lettres qui signifient tout à la fois tard, l’après-midi et le soir.
Atardecer
Comme un souffle de lumière lancé à la nuit qui s’installe sans tarder.
La noche et ses mots murmurés et ses rythmes secrets.
Amanecer
Beaucoup parlé espagnol – castillan – ces derniers jours. Plaisir goûteux, toujours, de changer de ciel et de logiciel. En fais mon miel. Me laisse dérouter par nouveaux sons et rythmes et tournures. Accepte de ne pas comprendre lorsque le tempo accélère trop fort. Alors, ose demander de répéter. Por favor. Ensuite, lorsque me retrouve seul, prononce à voix basse les mots découverts. Plusieurs fois. En prenant mon temps. Ne peux résister à leur ronde dans ma bouche. Hier, ce fut Amanecer.
Amanecer, amanecer, amanecer
je le lance en boucle ce mot qui ouvre sur la promesse de la lumière, d’une nouvelle journée, de la vie qui se poursuit
l’instant de l’aube
Amanecer
amorce du jour
pour dire cer, prends soin de caresser du bout de la langue le tranchant des dents
puis fais-la vite repasser derrière, vers le palais, pour rouler le r
cerrr
Amanecerrr
cerrr
n’oublie pas de mettre juste un peu plus de poids là-dessus
avec un è comme le è de notre cerf
Amanecer, amanecer, amanecer
oui, c’est ça
délicat et fugace câlin de langue au petit matin
servi bien doux
suave, si
Amanecer
l’instant où le jour se lève
il faut tenter de dire.
Manquer
En manque de désir d’écrire fus longtemps
en panne de mots,
flux à l’arrêt, tu sais
– Man, que me dis ?
Oui, dénué de sons et de couleurs, à court de souffle
tout vide, en cale sèche
du coup, resté à quai, clavier grippé, écran muet
rendez-vous des carnets séché
Jusqu’à ce lever de matin doré de janvier
sang en accéléré
feu relancé
Neuf mois jour pour jour après, passage à l’acte désiré
Cette éclipse, de peu manqué la prolonger
pas loin de louper encore le train d’écriture
wagon vide, gares désertes, tant de voies sans issues
jusqu’à ce frémissement de voix jailli de dedans l’obscurité
À quelques battements de cœur près, nous nous serions encore manqués, qui sait ?
Tenter, s’il te plait, oser.