Onze à la douzaine

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Les mots pour le dire

« J’ai entendu onze coups. Onze. Plus qu’un seul et c’en sera fini de ce jour. Onze fois résonnent. Onze. En toi tu le prononces ce mot. Onze. C’est un son grave qu’il produit. Onze. Il y a aussi ce ze qui est joli. Si tu le répètes en accélérant tu te crois auprès d’une cigale. Si tu espaces le tempo tu aperçois une petite scie. Si tu la dis continuo cette petite syllabe, tu revois l’écriture du sommeil dans les bulles d’un BD. Ze c’est aussi ainsi que les tout jeunes enfants se nomment quand ils parlent d’eux-mêmes. Les grands disent défaut de langue. Les grands passent à côté du charme parfois. Les grands ne jouent plus souvent avec le je. Onze. Onze. Onze coups de cloche au-dessus de la ville. Plus qu’un seul et c’en sera fini de ce jour à la douzaine. »

Shanghai est un sourire tendre

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Au détour d’une rue encore une rencontre fugace pleine de grâce
une petite poupée en rose et sa maman
précieux cadeau le reçois pleinement

tā hen piàoliang 她 很 漂亮
la chance et le plaisir de pouvoir dire à la dame que sa fille est très jolie
puis d’accueillir le sourire tendre et fier adressé à la pitchounette

un peu plus tôt ailleurs dans la ville une autre apparition
un bébé à bavoir et chaussures Mickey promène et te dévisage
hen piaoliang lui aussi tu le dis
en te baissant à hauteur du minot tu perçois aussitôt tant de fierté et de gentillesse dans le sourire du grand frère.

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Shanghai est une apparition

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C’est l’heure de la promenade l’heure de colorer le jour qui baisse et teinte de gris sale les murs et les façades de la vieille cité
c’est l’heure de fendre le froid de l’air qui enserre les mains et les visages
l’heure de lâcher un instant les mamans à la tâche depuis l’aube les laisser respirer se retrouver se raconter leur journée tandis que les papas restés au chaud jouent au go ou aux cartes et fument en parlant fort
c’est l’heure de tenter une course fragile de tapoter le sol de ses petits pieds roses et d’imaginer le printemps
c’est l’heure de la promesse de jours débarrassés de la laideur et de la violence du monde

c’est l’heure de l’apparition
la saisir comme on accueille un oiseau de passage
en douceur
et le laisser s’envoler comme une précieuse seconde arrachée au cadran rouillé de l’éternité.

Shanghai est une ombre chinoise

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Tu les aperçois de loin en retournant récupérer ton vélo tu les entends les quatre petits garçons accroupis par terre là sur le parking à l’abri des allées et venues des scooters ils discutent ensemble ils se parlent en riant ils partagent la tiédeur du soir en attendant grand frère grande sœur ou parent et lorsque tu approches ils semblent soudain séparés par moitié deux solitaires le plus petit te tourne le dos l’autre captivé par ses cartes à jouer et les deux autres s’amusent à créer des personnages en ombre chinoise avec leurs doigts ils se font doucement peur sous le lampadaire doré qui les éclaire puis lorsque tu es juste à côté d’eux ils s’agitent à nouveau tous ensemble tu ne comprends pas tu les as peut-être effrayés tu ne saisis aucun de leurs mots ce soir tu demanderas comment se dit ombre  en chinois tu y jouais aussi à te faire peur dans le noir et la lumière quand tu étais petit il y a bien longtemps le lapin c’était facile le loup aussi tu te souviens le cerf plus difficile tu n’y arrivais pas toujours et le dragon comme ceux des petits garçons tes doigts ne savaient pas l’inventer d’ailleurs tu ne savais même pas que ça existait.

Il fait si chaud

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Plus rien à lire ici
plus rien à découvrir
plus rien à écouter
sinon le frôlement fugace
des passants silencieux
des enfants pressés

il fait si chaud que mes heures défilent
à siester à l’aplomb des maisons

grand temps que reviennent les saisons
des journées fraîches
des passants bavards
des enfants étonnés
des livres palpitants

Je suis d’ici

Je suis d’ici
de la ville-pays
où les oiseaux caressent les statues

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où Hassen est mon frère

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comme Frank
comme Youssou
comme Igor
et tant d’autres

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je suis de cette ville où les fleurs poussent sur les murs

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où les licornes rosissent lorsque tu leur dis qu’elles sont belles

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où les ports sont quasi morts

je suis de cette ville-pays
où survivent les traces des combats de libération

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où la misère hurle à force de se taire

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où les cinémas ferment en attendant l’an que ven

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cette ville où nuit et jour la Corse s’invite après Planier

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je suis de Marseille
où en toute saison
fleurissent les rires des enfants
près de leurs coquillages

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Game over

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À peine évanouis les rires de la fête
rencontrer le chagrin des jouets délaissés
dérisoires cadeaux
fugaces embrassades
rêves trop vite éteints
ici enfants gâtés
là-bas abandonnés
ce monde est à pleurer

Les mots en pleine face

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Patienter dans le métro de Shanghai face à des affiches choc
teintées de souffrance
deviner qu’elles parlent d’enfance
mais ne pas savoir déchiffrer leurs légendes
faire appel à ma fille, prof de chinois
et prendre les mots en pleine face

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Je tire tes vêtements mais tu ne me vois pas
Absorbés par leurs écrans, les Chinois ne se regardent plus.
L’ai constaté partout à Shanghai. Dans le métro, dans les rues, au restaurant.
Les adultes s’ignorent et les enfants n’ont souvent pas droit au moindre regard. Au moindre mot.

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Parfois l’attente est source de bonheur.
L’ombre de maman va-t-elle apparaître au bout du chemin ?
La campagne parle des enfants « délaissés », confiés à leurs grands-parents à la campagne pendant que leurs parents vont travailler à la ville. Ces enfants restent des mois voire des années sans les voir…

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Il est urgent que le sang cesse de couler à l’école
En Chine aussi le monde des humains perd la tête et le cœur.