Une foule éclair pour espérer encore

Jeudi jour de marché, jour de provisions. Des patates, des carottes, des oignons, une scarole, de l’ail, des figues sèches, des fraises, le pain et soudain, de la musique, sur le chemin du retour.

 

Festif, ce flash mob improvisé et lancé par un groupe de musiciens autour de la chanson Danser encore de HK. Une sorte d’hymne à la liberté, à l’amour et à la tant désirée réouverture des lieux culturels. Cinq petites minutes de joie et puis, remballer à contrecœur en espérant retrouver sans tarder le chemin des provisions artistiques…

 

Ema, violoncelliste

Une femme libre, c’est si dangereux

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Provisoire
liberté provisoire
remise en liberté provisoire
Asli Erdogan sous le choc
hier à Istanbul

après plus de quatre mois de prison
l’écrivaine turque va pouvoir se reposer un peu et se soigner
jusqu’au 2 janvier
lundi prochain
date de la nouvelle audience de son procès

provisoire sa liberté
mais
dérisoire le nombre d’heures qui la séparent
du retour devant les juges
lundi c’est déjà presque demain

provisoire
ce mot affreux
il rime presque avec parloir
mais il pourrait aussi s’accorder avec grimoire
histoire de jeter un mauvais sort
aux immondes tyrans qui s’acharnent sur Aslı
un grimoire pour changer le cours de son histoire

pour qu’advienne un miracle
surgisse comme une renaissance
comme une étoile neuve dans le ciel de l’an nouveau
pour qu’Aslı puisse assister libre la semaine prochaine
à la publication par sa maison d’édition, Actes Sud
du recueil de ses articles traduits en français
sous le titre le Silence même n’est plus à toi

en attendant le miracle
j’écoute Springsteen en boucle
sa voix déchirée
ses mots qui sortent des enceintes et qui racontent les vies fanées
les destins défaits par la violence du monde
les crève-coeurs quotidiens
les larmes trop douces pour les raisons qui les font couler

dehors la ville se prépare à la fête
quelle fête ?
une année de plus à regarder le monde tomber en morceaux
les puissants décider pour les impuissants
l’injustice monter sur le podium
les mille et une façons d’user de la violence recueillir toutes les médailles

et pourtant mercredi Jacqueline a retrouvé la vie libre qui lui était due
et pourtant hier soir Aslı a obtenu un sursis
retrouvé les bras de sa mère-courage
offert son doux visage épuisé à la brise du Bosphore
caressé un chat
bu le vin de la liberté
souri aux fidèles, aux bienveillants, aux épris d’humanité comme elle

une femme libre, c’est si dangereux
quelle insoutenable menace pour la tranquillité des vils
des accapareurs, des corrompus, des assassins, des moins-que-des-hommes
une femme libre ça marche en robe légère
ça danse les bords de trottoir
ça saute dans les flaques d’eau
ça dit non
ça porte sa voix plus loin que des murs de prison
ça hurle de rage et d’indignation
ça serre les poings et ça les lève droit vers les tyrans
ça les regarde dans les yeux
ça prononce leur nom
ça raconte et ça écrit sur les pages de livres qui voyagent
et se partagent et se multiplient et témoignent, témoigneront, auront témoigné
seront là pour nous le dire encore et malgré tout
malgré le silence, l’indifférence et le malheur des jours sans lumière :
qu’une femme libre, c’est la grandeur du monde

* Aslı Erdoğan dans les bras de sa maman à sa sortie de prison

Photo copiée sur la page Twitter de Seray Şahiner

 

Les murs parlent de toi, Aslı

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Il y a des combats violents
pour libérer la parole
les murs parlent de toi, Asli

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tant de visages ont disparu
tapis dans les murmures
des palissades froides où tu survis, Aslı

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parfois un cœur s’accroche
en solidarité vivace
des amoureux de la liberté comme toi, Aslı

Le procès d’ Aslı Erdoğan s’ouvre aujourd’hui à Istanbul. L’écrivaine turque est emprisonnée depuis le 17 août, poursuivie pour « atteinte à l’intégrité de l’Etat » et « propagande en faveur d’une organisation terroriste » pour avoir collaboré avec le journal Ozgür Gündem, qui soutenait des revendications pro-kurdes. Comme huit des prévenus jugés avec elle, Aslı Erdoğan risque la prison à perpétuité.

 

Liberté pour Aslı Erdoğan

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À Paris, Bordeaux, Nantes, Brest et tant d’autres lieux hier-soir
des femmes et des hommes sont venus crier Liberté pour Aslı Erdoğan
partout a été lue une lettre de l’écrivaine turque
écrite depuis la prison pour femmes d’Istanbul
entre maison de fous et léproserie
où elle est enfermée depuis juillet
accusée de terrorisme
elle risque la prison à vie

hélas pas pu me rendre à l’un de ces rassemblements
alors, en solidarité et en soutien à Aslı Erdoğan
j’ai lu un extrait de Le visiteur matinal
l’une des nouvelles de son recueil Les oiseaux de bois

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À la Maison de la poésie à Paris
la maman de l’écrivaine était là
émue et digne
devant elle, Françoise Nyssen, Présidente d’Actes Sud
a tenu à témoigner
c’est elle qui édite Aslı Erdoğan

Je suis venue vous dire qu’Asli a trouvé sa maison chez Actes Sud,
un abri, un foyer, un recours.
Nous publierons bientôt un texte qui a été interdit jusqu’à aujourd’hui en Turquie,
et nous continuerons de le faire.
Asli est un écrivain – elle a une patrie mais elle est sans patrie ; elle a écrit des livres magnifiques sur Rio et Genève, elle écrit sur la mort, sur la douleur des gens .
Lisez-la, et vous comprendrez qu’elle ne PEUT être une terroriste.

Yigit Bener, ami intime et traducteur d’Aslı a parlé lui aussi

Face à tant d’oppression, il nous reste la dérision.
On m’a toujours dit :  » Ah, mais tu ne ressembles pas à un turc » , à Paris comme en Turquie. Inch’Allah – je souhaite un avenir moins sombre pour tous les écrivains et les journalistes – il nous faut à toute force la solidarité dans le monde et la liberté d’expression en Turquie. Il faut faire, et encore faire, et ne jamais cesser de faire.

Aujourd’hui, Aslı Erdoğan vit avec des problèmes de circulation sanguine
elle souffre d’une infection des poumons, d’une hernie discale et d’hypoglycémie
elle est menottée pour aller à l’hôpital et parfois le médecin n’est même pas là
elle connait la solidarité qui est née en Turquie et dans le monde
ce qui compte énormément pour son moral et dans sa solitude
son audience est prévue pour le 29 décembre

Actes Sud publiera ses chroniques littéraires  – qui lui ont valu d’être arrêtée – en janvier prochain sous le titre Le silence même n’est plus à toi
elles ont été lues hier soir à la Maison de la poésie par Céline, une comédienne turco-française

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Chaque matin sur Twitter, je poste une photo de ciel pour Aslı Erdoğan
comme je le fis il fut un temps avec des fleurs pour l’artiste chinois Ai Weiwei
je continuerai tant qu’elle ne retrouvera pas la liberté

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* Anne Savelli, Mathilde Roux, Joachim Séné, Pierre Cohen-Hadria, dédient une page à sur leur site L’aiR Nu

* Tous les matins à 8 heures, le magazine Diakritik met en ligne un texte par jour, jusqu’à la libération d’Aslı Erdoğan, avec le titre On n’enfermera pas sa voix

 

 

 

 

 

 

Pour toutes et tous sonne le glas

Aujourd’hui 11 janvier 2015, ce blog a deux ans tout juste. J’avais prévu de fêter ça. De vous concocter une mescle de sons que vous avez apprécié parmi les 700 et plus publiés ici depuis janvier 2013. Mais je ne le ferai pas. Car depuis mercredi, mon cœur n’est pas en joie. Depuis l’assassinat à Charlie Hebdo, je porte le deuil. Ce dimanche, j’irai marcher pour la République en hommage à toutes les victimes de la barbarie. Celles qui sont tombées cette semaine dans notre pays. Celles aussi qui chaque jour payent de leur vie la monstruosité des ennemis de la liberté. Pour toutes et tous sonne le glas.

Salies-de-Béarn est Charlie / NousSommesCharlie #2

Salies-de-Béarn ce jeudi-soir. Au lendemain de l’attaque contre Charlie Hebdo, six cents personnes reprennent Quand les hommes vivront d’amour, la chanson de Raymond Lévesque – écrite pendant la Guerre d’Algérie – devant le kiosque à musique du Jardin Public. À la trompette, Didier Fois, musicien et chef de file du groupe Arraya. Hommage et recueillement à l’appel de Claude Serres-Cousiné, le maire de la commune, passionné de BD.

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À Bayonne, Barbara et Mathieu pleurent Tignous… et les autres / NousSommesCharlie #1

Atterré. Sidéré. Peiné. Toute la journée d’hier j’ai entendu le glas bourdonner. L’attaque meurtrière contre Charlie Hebdo m’a laissé désarmé, vidé. Empli de chagrin, de colère et d’écœurement. Ai voulu un moment aller me cacher dans les bois et ne plus entendre sanglots et hurlements. Ai renoncé. En fin d’après-midi, suis parti pour Bayonne rejoindre les participants au rassemblement de solidarité avec les morts et les blessés de Charlie. Avec les policiers aussi. Y ai rencontré Barbara et Mathieu parmi la foule massée devant la mairie. Vagues d’applaudissements et recueillement. Je suis Charlie en mains. Crayons et journal brandis. Place de la Liberté.

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IMG_5767IMG_5772 IMG_5775Je suis, tu es, nous sommes Charlie. Continuerons à avancer et à veiller à la défense de tout ce qui représente le socle de notre république, la liberté, l’égalité, la fraternité, la solidarité, l’accueil, l’humanité, le partage, la confrontation des idées, le pluralisme, l’esprit critique, le refus de la haine et de l’exclusion. De la lecture pour prolonger : Un attentat à nos libertés, par François Bonnet sur Mediapart. Résister à la logique des évènements, par Cécile Portier, sur son blog Petite Racine. Ataque a la libertad de expresión en Francia, par InfoLibre.

 

Pourquoi on les laisse pas en liberté ?

Au sommet du Pain de sucre, la colline boisée qui surplombe Salies-de-Béarn, nous sommes allés rendre visite aux daims qui passent l’année dans un vaste enclos grillagé. Clément les a trouvé attendrissants. Alexandre a fait un peu de lecture en déchiffrant les panneaux accrochés aux grillages. Ensuite nous sommes redescendus vers la maison. En chemin m’est revenue la question initiale – qui vaut aussi pour tant et tant d’humains –  : – pourquoi on les laisse pas en liberté ?

Ne pas deux

La voix de Mumia Abu-Jamal / La voix de Keith Richards / Playing for change

Quelle force, quelle sérénité et quelle dignité chez Mumia Abu-Jamal ! Voilà un homme qui a passé plus de la moitié de sa vie en prison et de nombreuses années dans les couloirs de la mort. Accusé du meurtre d’un policier blanc en 1981, il a été condamné à mort puis à la réclusion à perpétuité. Ce militant des Black Panthers continue de ne pas être indifférent à la marche du monde tout en clamant son innocence depuis la prison de Mahanoy, à 3 heures de route de Philadelphie. L’interview est signée Nadine Epstain, journaliste à France Culture. Bravo à elle. Plus d’info sur les conditions dans lesquelles elle a réalisé ce scoop, c’est par ici. Le site du Collectif français pour la libération de Mumia Abu-Jamal. Le site de la Coalition mondiale contre la peine de mort, c’est par là.

Pour accompagner Mumia, la voix de Keith Richards Playing For Change. Découvert cette vidéo avant-hier. 8 minutes 40 de plaisir à partager. Urgent que ça change pour la panthère noire injustement enfermée dans sa cage. Praying for change… Don’t give up the fight. Pour prolonger l’écoute, lire ces Conversations de François Bon avec Keith Richards. Ces mots sont pour Mumia : « L’espoir est ce que tu sculptes de ton poing quand tu chantes. »

Badiucao 巴丢草, dessinateur chinois exilé en Australie

J’ai rencontré Badiucao sur Twitter il y a une petite semaine. Cet artiste né en 1980 à Shanghai s’est exilé en Australie il y a trois ans, pour pouvoir exercer librement son talent de dessinateur. Il faut dire que ses cartoons ne sont pas du tout du goût des autorités chinoises, à l’image de celui-ci, intitulé Qui sont les terroristes ? Whoareterrorists
©Badiucao
Badiucao a réalisé ce dessin juste après l’incident survenu fin octobre près de la place Tiananmen, qui fit 5 morts et 40 blessés. Des photographies mises en ligne – et très vite effacées par les services de la censure – ont montré un véhicule en feu surmonté d’une épaisse colonne de fumée, devant le célèbre portrait de Mao à l’entrée de la Cité interdite, qui donne sur le côté nord de Tiananmen. La police a avancé la piste d’un attentat terroriste…
Voici l’un des morceaux qu’il aime écouter en boucle pendant qu’il dessine.
Rootless tree – arbre sans racine – de l’auteur compositeur interprète irlandais Damien Rice.
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Petit-fils d’un cinéaste envoyé en camp de rééducation pour « crime culturel » – il y mourut de faim et de maladie – Badiucao est un grand admirateur d’Ai Weiwei – « une bougie dans l’obscurité » – défenseur actif et persécuté de la liberté d’expression dans son pays. Contrairement à Ai Weiwei, il a, lui, choisi de quitter le pays natal pour mettre sa famille à l’abri et pour poursuivre son travail artistique.
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©Badiucao
Le président Meow est affamé, c’est le titre de ce dessin, allusion à la censure récurrente exercée sur l’internet par les autorités chinoises, avec à leur tête depuis mars le président Xi Jinping.
Badiucao vient juste de publier son travail sur le China Digital Times, un site collaboratif d’information lancé en 2003 par Xiao Qiang, professeur à la University of California de Berkeley.
Aujourd’hui, il se force à ne pas parler de son activité à sa famille pour lui éviter de redouter d’éventuelles poursuites, même hors de Chine, ce pays natal où il s’est promis de ne pas retourner tant que la liberté n’y règnera pas pour de vrai.