Livres de ma vie / Dictionnaire des mots rares et précieux #4

Verbes à foison dans la langue française. L’une de ses richesses. Peut-être la plus précieuse. Le verbe teinte. Nuance. Il invite au voyage. Dans l’espace et dans le temps. Difficile à conjuguer parfois mais on lui pardonne. En voici trois, en D. Comme deviner ou débroussailler. À vous de faire rouler les dés.

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DÉBACLER, v.tr. Mar. Faire sortir d’un port les vaisseaux vides afin de permettre aux bateaux pleins d’y venir décharger à leur tour.

DÉCOMPOTER, v.tr. Agric. Modifier l’ordre dans lequel se suivent les semailles et les fumures.

DUIRE, v.tr. Vieux mot qui a signifié accoutumer, dresser, et qui ne s’est conservé que dans le vocabulaire de la fauconnerie, où l’on dit duire un oiseau pour l’apprivoiser et lui enseigner à chasser.

Livres de ma vie / Dictionnaire des mots rares et précieux #3

Mots déguisés. Mots caméléons. Mots qui prennent un malin plaisir à nous induire en erreur. De nous entraîner sur de fausses pistes. Mots mosaïques. Précieux et mystérieux. Planqués derrière leur parure trompeuse. En voici trois en C. C comme cache-cache.

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CANON, n.m. Archéol. Pot à onguent. // Art. vétér. Partie de la jambe du cheval comprise entre le genou et le boulet. // Cost. Ornement d’étoffe attaché au bas d’une culotte, parure fort en vogue au XVIIIème siècle. // Techn. Corps d’une seringue. Pièce de la serrure qui reçoit la clé. Partie forée de la clef. Bâton de soufre. Instrument à l’usage des repasseuses pour tuyauter les dentelles. Tuyau de la plume d’oie. // Imprim. Nom donné à des caractères d’imprimerie qu’on emploie principalement pour des affiches. // Métrol. Petite mesure pourles vins d’une capacité d’un huitième de litre.

CARCAN, n.m. Collier d’orfèvrerie autrefois porté par les femmes.

CATIN, n.m. Bassin de réception du métal en fusion dans les fours à réverbère.

Livres de ma vie / Dictionnaire des mots rares et précieux #2

Mots de métiers, mots de labeur, mots qui soulignent un défaut, une anomalie. Mots qui se rapportent à l’écrit, à son histoire. La lettre B en regorge. En voici trois, pour la bonne bouche.

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BATTITURE, n.f. Se dit des petits fragments de métal incandescent qui jaillissent sous les coups du marteau de forge.

BLÉSITÉ, n.f. Vice de prononciation proche du zézaiement et consistant à substituer une consonne faible à une plus forte

BOUSTROPHÉDON, n.m. Paléogr. Manière d’écrire alternativement de droite à gauche et de gauche à droite, à l’imitation des sillons d’un champ. Les plus anciennes inscriptions grecques sont en boustrophédon.

Copyright @  les Éditions 10/18, sous la direction de Jean-Claude Zylberstein

Livres de ma vie / Dictionnaire des mots rares et précieux #1

Toujours aimé les mots. Pour leur sonorité surtout. Bavard depuis le berceau, toujours raffolé des mots dits, dictés, criés, lâchés en douceur ou énoncés. Et puis les accents. Tous les accents. Le pointu de Paris, le traînant de Corse, le brut de Lorraine et surtout les accents venus d’ailleurs. D’autres pays. Mon grand-père zurichois roulait les r et promenait des sonorités germaniques que j’adorais. Jesùs, mon ami de Valencia a du mal avec les g et les v. J’admire sa volonté d’apprendre. Son application. Je déteste les gens qui se moquent du français parlé avec les accents du monde.

J’aime aussi les mots qui ouvrent des horizons poétiques ou mystérieux ou les deux à la fois. Les mots rares. Ceux que l’on n’entend plus. Ceux que je n’ai jamais entendus. Dont j’ignore le sens. Rares et précieux. Rassemblés dans un petit dictionnaire où je me plongerai de temps en temps ici en vous invitant à picorer avec moi quelques pépites.

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ABROUTI, E, adj. Bois abrouti : dont les pousses ont été broutées par le bétail.

ACCON ou ACON, n.m. Navig. Chaland de faible tirant d’eau. // Embarcation utilisée dans les parcs à huîtres et à moules // Petit bateau plat permettant d’aller sur les vasières.

ALLEMANDERIE, n. f. Techn. Atelier de forge où l’on tranforme le fer en barres calibrées.

 

Copyright @  les Éditions 10/18, sous la direction de Jean-Claude Zylberstein

Livres de ma vie / B comme Bruegel #4

La Fenaison. La campagne en été. Les travaux des champs. Hommes, femmes et bêtes. Les origines. Les racines communes. C’est comme si Bruegel nous faisait entendre leurs gestes en nous reliant à nos ancêtres paysans. Paysage où règne la paix. Horizon dégagé ouvert sur d’autres contrées peuplées de gens de la terre. On se prend à imaginer que la rivière nous entraine vers la mer. Ces travailleurs des campagnes ne la connaîtront sans doute jamais.

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R comme Reportage

« Bruegel est comme un journaliste qui ferait un reportage en images. Dans les campagnes, l’œil aux aguets, il observe les paysans qui travaillent puis, de retour dans son atelier, il peint des scènes qui racontent la vie des gens de son temps. Il ne cherche pas alors à inventer des histoires mais à décrire les choses telles qu’elles sont.

Un jour, un riche amateur d’Anvers lui passe une commande qui lui fait grand plaisir : une série de tableaux représentant les saisons pour décorer sa maison. Bruegel peint la fin de l’hiver lorsque tout est humide et sombre et le début de l’été quand les fruits sont si bons, il peint l’été doré des moissons et la venue de l’automne. Il peint l’hiver tout blanc et le froid et la glace.

À chaque saison sa couleur : jaune pour le plein été, bleu pour le printemps, brun pour l’automne. Ici pour ce radieux mois de juillet, l’un des six panneaux peints par Bruegel, c’est le vert qui domine ».

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Copyright @ Réunion des Musées Nationaux. Collection dirigée par Marie Sellier

Livres de ma vie / B comme Bruegel #3

Les Mendiants. Affreux et abandonnés. Esseulés déjà en ces temps reculés. Rien ne change. Contemporains donc ces estropiés. Tant et tant croisés dans nos villes. Les guerres et la misère ne cessent de lâcher leurs terribles semailles. Siècle après siècle. Nos indifférences demeurent. Tableau universel. Le seul de Bruegel conservé au musée du Louvre à Paris.

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M comme Mendiants

« C’est une toute petite peinture, à peine plus large qu’une page de ce livre. On y voit cinq mendiants, cinq estropiés dans un petit jardin en friche. Ils sont déguisés. Ces tuniques piquées de queues de renard, ces chapeaux de carnaval, c’est sans doute pour attirer l’attention des gens : « S-il vous plaît, Monseigneur, une petite pièce, pour un pauvre cul-de-jatte ! »

Derrière les mendiants agglutinés, derrière la femme qui trottine vers la droite, une assiette à la main, une allée s’échappe vers un porche. Au-delà, on découvre des arbres au feuillage argenté, un coin de ciel bleu… Comme si Bruegel avait voulu opposer l’univers des hommes, imparfait, torturé, à la nature si sereine, si parfaite. La folie de l’un à l’harmonie de l’autre. »

Mendiants

Copyright @ Réunion des Musées Nationaux. Collection dirigée par Marie Sellier

Livres de ma vie / B comme Bruegel #2

La chute d’Icare. Un tableau ouvert comme un continent. Des hommes au bord d’un monde connu. La campagne et la mer. Ce monde me parle. Comme familier il est. Le laboureur derrière son cheval. Le regard fixé sur le soc et le sillon à naître. Le berger rêveur. Les yeux au ciel tandis que ses moutons paissent comme au bord d’une falaise. La caravelle. Voiles arrondies de vent. Coque géante et à quelques vaguelettes de là, deux jambes roses. Les jambes d’Icare. Du personnage mythologique, Bruegel ne nous montre que les gambettes. Noyade ? Nul ne le sait. Ce simple détail compte peu en fait, face à la beauté du monde. Les îles au loin, l’horizon, le soleil levant, d’autres bateaux et au-delà, une cité. Un port où vivent et travaillent d’autres hommes. J’ignore pourquoi mon regard a peu voyagé vers la droite du tableau. À peine aperçu le pêcheur. Ai imaginé les montagnes blanches comme un iceberg monstrueux. Quant à Icare…

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I comme Icare

« D’abord, on ne voit qu’un laboureur qui travaille avec application, indifférent au paysage qui l’entoure. Le jour se lève à l’horizon, une brise légère gonfle les voiles du navire… Tout est calme et splendide. Mais comme ce tableau est intitulé La chute d’Icare, on cherche Icare ! Où est-il ? Où est l’homme-oiseau, le premier fou volant qui réussit à s’élever dans les aires avec des ailes de plume et de cire ?

On découvre le berger qui rêve en gardant ses moutons, le pêcheur sur la berge qui lance de nouveau sa canne. Et puis soudain on voit ces jambes qui s’agitent, cette main, ces plumes qui tourbillonnent. Le voici, Icare ! À trop vouloir s’approcher du soleil, il s’est brûlé les ailes. La cire a fondu et il est tombé. C’est la fin de l’aventure que Bruegel a choisi de peindre, comme pour dire : « Voilà à quoi mène l’orgueil ! »

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Copyright @ Réunion des Musées Nationaux. Collection dirigée par Marie Sellier

Livres de ma vie / B comme Bruegel #1

Sur le rayon peinture de ma bibliothèque, ce petit livre de la collection « L’enfance de l’art » acheté il y a quelques années au Musée Guggenheim de Bilbao. Bruegel. Pierre dit l’Ancien. Lumière douce, monstres, paysages à l’italienne inspirés par un voyage près de la Méditerranée après une traversée de la France et du Mont Cenis. Ce petit livre a réveillé en moi la sensation rare d’être happé, transporté vers un pays fantastique. Je me souviens. Jeune j’étais. Des heures passées à nommer les miniatures. A détailler chaque personnage. Chaque scène. B comme Bruegel est un merveilleux sésame pour donner envie aux enfants – et aux grands aussi – d’approcher l’œuvre de celui que l’on surnommait « le second Bosch ».

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G comme Galipettes

« Attention ! Ici on joue. On fait des galipettes ou le poirier, on court derrière un cerceau, on fait une partie de dé, d’osselets ou de toupie… Mais attention ! Jouer ne veut pas dire s’amuser. Pas de joie, souvent même pas d’expression du tout sur le visage de ces enfants qui ressemblent si peu à des enfants. Ce sont des adultes miniatures, presque des automates, qui s’appliquent à jouer pour passer le temps.

Sur ce même tableau, Bruegel a regroupé plus de quatre-vingt jeux différents, comme s’il avait voulu réaliser une page d’encyclopédie illustrée. Le regard est attiré par les taches rouges et bleues des vêtements qui se détachent bien sur le sol ocre. On navigue d’un groupe à l’autre. Et soudain on découvre un détail insolite : là, encadrée par l’ogive du préau, une petite fille accroupie… fait pipi ! »

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Copyright @ Réunion des Musées Nationaux. Collection dirigée par Marie Sellier

 

Livres de ma vie / La Gloire de mon père #3

L’attrait des mots. Se sentir happé par leur charme. Leur sonorité. Leur géographie dans la phrase. Voyelles parmi les consonnes au cœur des mots. Les nommer, les répéter, au risque de prendre la mention « bavard » sur chaque bulletin trimestriel, de la 6ème à la Terminale. Pas forcément de quoi vous donner une belle note au Bac Français mais qu’importe. Les mots. Compagnons de nos vies. Trésors à portée de bouche et de main et de clavier. Les chérir aussi dans les autres langues du monde, et notamment la langue occitane qui résonnait souvent aux oreilles du petit Marcel Pagnol.

 

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« D’ailleurs, ce qu’ils disaient ne m’intéressait pas. Ce que j’écoutais, ce que je guettais, c’était les mots : car j’avais la passion des mots ; en secret, sur un petit carnet, j’en faisais une collection, comme d’autres font pour les timbres.

J’adorais grenade, fumée, bourru, vermoulu et surtout manivelle : et je me les répétais souvent, quand j’étais seul, pour le plaisir de les entendre. Or, dans les discours de l’oncle, il y en avait de tout nouveaux, et qui étaient délicieux : damasquiné, florilège, filigrane, ou grandioses : archiépiscopal, plénipotentiaire.

Lorsque sur le fleuve de son discours je voyais passer l’un de ces vaisseaux à trois ponts, je levais la main et je demandais des explications, qu’il ne me refusait jamais. C’est là que j’ai compris pour la première fois que les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images. »

Livres de ma vie / La Gloire de mon père #2

À la maison, pas de voiture avant je ne sais plus quand. De toutes façons, mon père détestait conduire. Alors, le samedi c’était en bus que nous montions à Gémenos. Aux Quatre Chemins, nous descendions. Mon grand-père venait me chercher pour me chaler en vélomoteur. Je me souviens de sa nuque parfumée de sueur. Teintée de champs et de fleurs. Ce parfum m’accompagnait jusqu’à la ferme où nous attendait Mémé Hélène. Le « messager des vacances » dont Marcel Pagnol guettait l’arrivée, c’était Pépé.

LaGloiredemonpère

« C’était une charettte bleue, d’un bleu délavé, qui laissait trasparaître les fibres du bois. Les roues très hautes avaint un jeu latéral considérable : quand elles arrivaient à bout de jeu, c’est à dire à chaque tour, il y avait un choc tintant. Les cercles de fer tressautaient sur les pavés, les brancards gémissaient, les sabots du mulet faisaient sauter des étincelles… C’était le chariot de l’aventure et de l’espoir…

Le paysan qui le conduisait n’avait ni veste ni blouse, mais un gilet tricoté, d’une laine épaisse, feutrée par la crasse. Sur la tête, une casquette informe, à la visière ramollie. Cependant, de belles dents blanches brillaient dans un visage d’empereur romain. Il parlait provençal, il riait et faisait claquer une longue lanière au bout d’un manche de jonc tressé.

Aidé de mon père, et grandement gêné par les efforts du petit Paul (qui s’accrochait aux plus gros meubles en prétendant les transporter), le paysan chargea la charrette, c’est à dire qu’il y entassa le mobilier en pyramide. Il en assura ensuite l’équilibre par un treillis de cordes, cordelettes et ficelles, et jeta sur le tout une bâche trouée. Alors, il s’écria en provençal :

« Cette fois-ci, nous y sommes ! » et il alla prendre la bride du mulet, qu’il fit démarrer au moyen de plusieurs injures blessantes, accompagnées de violentes saccades sur le mors du peu sensible animal. »