Le blues de Moussa, chauffeur sénégalais

La corruption ordinaire. Le billet de 1000 francs CFA glissé dans la main du gendarme pour avoir le droit de reprendre la route après un contrôle inopiné. Un quotidien dont les Sénégalais ne veulent plus. Ils le disent. En secret. Comme Moussa qui m’accompagna à Joal, la commune où naquit Léopold Sédar Senghor, le père de la République du Sénégal. Son successeur, l’actuel président Macky Sall, a beau faire savoir qu’il déclare la guerre aux corrompus, rien ne change en profondeur. Et la fatigue des chauffeurs grandit. Comme se creuse chaque jour un peu plus la fatigue de leurs voitures.

Moussa

Carnet d’Afrique #7

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Il frôle les poussières rouges le long des routes.
Pas changé leur course à travers les villages depuis toutes ces années. Presque immobiles, il pense. Rien de nouveau ici hormis les quelques dizaines de kilomètres d’autoroute goudronnés en quittant l’aéroport. Les baobabs. À peine poussé. Les détritus. Beaucoup plus qu’avant. Les maisons de fortune. S’amoncellent. Prendre son temps. Le temps donné sans compter. Pas la peine de se hâter. Les poussières rouges traînent leur éternelle patience.

(à suivre)

Carnet d’Afrique #6

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Rares. Les Blancs se font rares.
Quelques Toubabs ventrus traînent leurs rides et leurs 4X4 en direction des serveuses aux tresses brillantes. Les yeux accrochés aux doigts sarments des demoiselles. Osent à peine deviner leurs dents du bonheur au creux de leurs lèvres divines. Il faudrait se taire. Surtout ne rien dire qui vienne gâcher ces secondes de grâce fugace. Mais ils ne savent goûter ce suc. Ignorent le sel du silence. Murmurent un vague compliment sur le tissu de leurs boubous. Aucun regard en échange. À peine un merci susurré sans sourire. Les boissons servies, elles s’échappent d’un pas souple vers la caisse où tinte le petit bruit sec et maigre du franc CFA.
Leur richesse à partager avec qui saura approcher la vive et fière douceur de leur âme.

(à suivre)

Carnet d’Afrique #5

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Le muezzin lance l’appel à la prière.
Des mosquées semées sur les places. Déposées comme à la hâte. Certaines semblent provisoires mais ce provisoire dure depuis des années. Minaret pour les plus grandes. Haut parleur pour toutes. Dès avant l’aube ils vibrent à travers la ville. Comme une plainte répétée chaque jour qu’Allah fait. L’appel, les enfants l’ignorent. Affairés à courir entre les amas de gravier. Entre les tas d’immondices qui peuplent les rues de terre rouge. Entre les murettes défoncées qui s’ouvrent sur de petits champs de menthe. Les enfants jouent d’un rien. Bouchon de bouteille. Canette cabossée. Ballon dégonflé. Cailloux glanés. Le muezzin a beau chanter sa litanie, les petits ont la tête à l’instant. Comme tous les enfants du monde.

(à suivre)

Reinette et les petits talibés

Près de vingt ans que Reinette entend taper au portail de sa maison de Mbour, sur la Petite Côte, à 80 kilomètres au sud de Dakar. Le matin, ils sont parfois une trentaine, les petits talibés mendiants affamés. Reinette sait bien que ces sandwiches au chocolat ne règlent pas le problème qui empoisonne la vie de dizaines de milliers d’enfants sénégalais contraints à mendier par leurs marabouts sensés leur apprendre le Coran. Mais elle ne s’est jamais résolue à laisser ces petits traîner dans la rue le ventre vide.

Carnet d’Afrique #4

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À présent passent trois jeunes femmes en file indienne.
Chaloupent le long de la plage abîmée. Traces vivaces des tempêtes de mars. Coiffées de larges plateaux gris, elles se taisent sous le poids des feuilles de menthe. Avancent sur le chemin défoncé vers les paillotes désertes. Qui leur donnera quelques billets pour quelques fruits ? Peut-être les dégusteront-elles si le client s’obstine à se cacher loin d’ici. Croisent de vieux messieurs à sandalettes translucides. Semblent égarés dans leurs souvenirs. Barbiches blanches et chemises constellées de sueur sèche. Ne se retournent pas sur le passage des porteuses aux seins et aux reins qui dansent. Indifférents à leurs fesses bombées comme des djembés de musiciennes.

(à suivre)