Je n’ai retrouvé Aglaé qu’au détour d’un voyage en Espagne. Plus de vingt longues années s’étaient égrenées. Elle réchauffait ses doigts au fond du cinéma l’Imperial. En plein Madrid. Ouvreuse elle était devenue. Un quotidien confiné à la lueur d’une lampe de poche. Des journées à tourner le dos à l’écran et à ses rêves d’actrice anéantis. Entre deux séances, elle m’a laissé effeuiller son costume de nonne et déchirer ses bas noirs. J’ai épargné le foulard orné d’une broche dorée, une cigale allongée de tout son long entre ses seins.
Une fois nos cauchemars mélangés et apaisés, Aglaé m’a montré ses croquis couchés sur un épais carnet et m’a tout raconté. Leur dernière nuit avant le clap de fin, leurs cris de rapaces, leurs ultimes baisers jetés par dessus mer. Et puis ce coup de feu qui soudain claque dans la bouche de Jo et le torrent de son sang. Comme un adieu lancé aux angelots du papier peint. Aglaé m’a décrit aussi les voisins saisis d’effroi à l’entrée de l’hôtel, l’ambulance où avance en tremblant le drap blanc, les menottes glacées à ses poignets et pour finir, le cachot. Sans un mot. Vingt ans elle a pris. Vingt années à se taire au fond de sa tanière. Honteuse et coupable. Pas un mot pour se défendre. Rien. Pas le moindre avocat pour la tirer de là. Elle n’en voulait pas. Vingt ans à se terrer, à se souvenir et à dessiner.
(à suivre)